VIOL, entre frustration et je m’en foutisme
Au sujet de l'album Bowels de Viol
Bowels est le huitième album d’Ernesto Violin – aka Viol – en moins d’une demie décennie, et de par son titre, on s’imagine qu’il s’agit de l’album de la dernière chance, de l’album où il videra ses tripes sur la table en tentant le tout pour le tout. Si l’on s’imagine ça, c’est qu’on ne voit pas comment il pourrait en être autrement, comment Viol pourrait encore avoir la force de continuer si ce Bowels restait à nouveau enfoui dans un certain anonymat. A un moment où un autre, Ernesto Violin doit bien ployer sous le poids de la frustration ; ce n’est pas possible d’écrire de telles chansons et de se foutre qu’elles ne soient que des chansons mortes-nés qui ne trouveront jamais leur public. Cette frustration, je la ressens moi-même, j’écoute Gun Street et je suis frustré de savoir que je serai l’un des seuls à l’apprécier ; je ne me considère pas comme chanceux ou privilégié, je suis juste déçu pour lui ; pour un peu, je trouverai presque cela injuste. Ainsi, à cause de cette perception, je n’arrive pas à écouter Bowels sans y entendre un dernier cri où Ernesto Violin donnerait le meilleur de lui-même et réaliserait son œuvre la plus aboutie, en se disant que si ça ne passe pas avec ce disque, ça ne passera jamais et qu’il faudra mieux en rester là.
Pourtant, il y a fort à parier que cette question de la frustration je sois le seul à me la poser. Non pas que Viol se désintéresse complètement du succès public et critique de ses œuvres (rares sont les artistes à s’en foutre complètement), mais surtout que la nécessité d’écrire et d’enregistrer des chansons (avec une moyenne de deux albums par an) dépasse largement la question de la reconnaissance. Malgré sa qualité, Bowels ne serait donc qu’une étape supplémentaire dans la discographie de Viol, soit le simple pendant hivernal de Hooligans Wake, son album d’été où l’on découvrait des chansons musicalement plus légères et habitées pas l’air des îles (Death Of The European Dream) ainsi que des influences presque reggae (Kill The Fucking Pigs). Pourtant ces incursions, ces tentatives, contrairement à ce que j’avais pu en penser, elles ne prédisaient rien, elles ne donnaient aucune information sur l’avenir.
Car la particularité d’Ernesto Violin, c’est surement de n’avoir aucun plan de carrière et aucune vision globale de son art (sans pour autant jamais manquer de sens artistique). De la mise en valeur des chansons (un bandcamp mal exploité), à la promotion (il ne lui viendrait même pas à l’idée d’annoncer la sortie de son nouvel album aux quelques personnes que ça pourrait intéresser) en passant par la réalisation des pochettes (je vous renvoie à celle de Gun Street), tout sent l’amateurisme au point que l’on puisse avoir l’impression qu’Ernesto Violin fait de la musique en dilettante, qu’il écrit des chansons comme ça, en fonction de son humeur, en rentrant du taf, et qu’il les enregistre pour le fun, afin de les faire écouter à ses potes, et peut-être à sa copine. Et dans cette musique, il n’y aurait donc aucune ambition, aucune recherche sur soi et sur ce que doit être une chanson ? Il n’y aurait que de l’instantané…
Evidemment ce n’est pas ça non plus. Car à chaque fois, alors qu’on a l’impression qu’Ernesto Violin vient encore de lâcher un album dans la nature comme on se débarrasserait d’une chemise qu’on a déjà trop portée, sans amour, sans envie d’en découdre, on découvre un disque d’une élégance incroyable et dans la cas de Bowels d’une homogénéité et d’une cohérence folle, parfaitement mis en valeur par une production qui ne sonne jamais comme une auto-production, une production fignolée dans ses moindres détails qui ne tolère aucune fausse note, aucune approximation. On ne sait alors jamais quoi penser d’Ernesto Violin, s’agit-il d’un artiste pour qui seules les chansons comptent au point de se foutre des alentours, ou bien d’un garçon paresseux qui ne croit pas assez en lui pour offrir à ses chansons les outils qui leur permettraient d’être reconnues à leur juste valeur. Si ces questions ne rentrent pas en compte dans l’appréciation artistique de son œuvre, elles soulèvent néanmoins des questions sur son auteur et sur sa sensibilité, et finalement sur ses chansons.
Ainsi Bowels est peut-être aussi bien un aboutissement qu’une poignée de chansons de plus abandonnées dans l’océan violin. Mais alors un aboutissement qui ne débouchera sur rien (il n’y a pas de mise en perspective ici), et des chansons abandonnées qu’on n’oubliera pourtant jamais. Le songwriting est ici à la fois plus léger et plus grave. Les mélodies sont plus simples, plus évidentes. Il n’y a pas la moindre fioriture, le moindre ornement. On a l’impression de toucher à la quintessence de ce que doit être Viol. C’est lumineux, spontané et les chansons n’ont pas besoin d’artifices pour prendre aux tripes.
Recentré sur l’amour et ses extrêmes, l’abandon et la perte, Bowels est aussi peut-être sans le subconscient de son auteur le manifeste d’une réussite finalement avortée, entre constat et frustration. L’amour existe, mais il a besoin de pilules pour s’épanouir (Love Pills), le bonheur est possible, mais la perte d’un enfant peut le noyer en un instant (Caribbean Gothic), Dieu est là mais nos proches nous manquent (God Is In The Rum). Dieu et l’alcool pour tout réconfort, Dieu et l’alcool, nos meilleurs amis et nos meilleurs ennemis.
Dans nos tripes, il y a à la fois le chaos et le salut ; nous sommes les vers de Dieu et la lumière de l’être aimé. Et dans un sens, c’est une belle métaphore de ce qu’est Viol aujourd’hui : un projet qui restera peut-être anecdotique dans l’histoire de la musique, mais un projet essentiel à ceux qui ne refusent que l’amour ne soit qu’une supercherie chimique. On aime pas Viol parce que dans un monde imaginaire il aurait pu être le Dylan français (ce qui d’ailleurs ne voudrait rien dire), on aime Viol parce qu’on aime Viol.