PS’Playlist décembre 2013 (Alexandre, Christophe, Axel, Lucile & Julien)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2013 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Mazzy Star – “Fade into You”
Extrait de So Tonight That I Might See – 1993 – Rock Indépendant
Max Richter – “Beginning and Ending”
Extrait de la bande originale du Congrès – 2013 – Classique
Blondie – “Atomic”
Extrait de Eat to the Beat – 1980 – New wave & disco
Toute chose a un début et un fin. Cette année peut-être encore plus que les autres pour moi. La fin d’un cycle. Un quart de siècle, un PACS, un environnement qui se restructure et des promesses d’avenir à la fois claires et floues. Le grand vertige.
J’ai eu l’impression de dire adieu à mes amours musicaux d’antan. Fini les grands Midlake, rien à retenir du David Bowie nouveau, les Walkmen s’apprêtent à ranger leurs guitares. Tout juste quelques noms célèbres, des Arcade Fire aux Daft Punk en passant par Atoms for Peace, auront encore suscité un peu de fièvre. Mais pour moi à l’image de Mazzy Star, toujours mue par la moue boudeuse de Hope Sandoval, la musique se déconnecte de plus en plus des va-et-vient des modes. Elle échappe aux notions de présent, de passé et de futur.
Dans le film Le Congrès, Ari Folman lie la SF à la nostalgie, le présent à une perte. C’est la sensation perpétuée par la musique composée par Max Richter. Le début, le milieu, la fin, l’antan, l’avenir, l’instant présent : tout ça n’a plus de sens, tout est déjà une perte. On pense aussi à la danse isolée d’Adèle, dans le film de Kechiche. A sa fête d’anniversaire, sur le fiévreux I Follow Rivers de Lykke Li, elle se déhanche avec une étrange tristesse, alors que l’instant se veut joyeux.
Et pourtant, cette année 2013 est loin d’être déprimante. Elle fut juste âpre, presque épique. Pleine de vie en somme. Une année de lutte pour le mariage pour tous, pour contrer le climat de racisme qui s’épanche dans les médias, une année à regarder dans les yeux la pauvreté toujours plus galopante. Mais une année à se serrer les coudes en buvant ensemble, en souhaitant la bienvenue aux petits bouts de choux qui nous ont rejoint. Une année à s’embrasser tous ensemble en remuant nos popotins sur du Blondie.
David Bowie – “The Next Day”
Extrait de The Next Day – 2013 – Rock de revenant
The Rolling Stones – “Miss You”
Extrait de Sweet Summer Sun – Hyde Park Live – 2013 – Rock discoïsant
Nick Cave and the Bad Seeds – “Higgs Boson Blues”
Extrait de Push The Sky Away – 2013 – Rock imagé
C’est déjà fini 2013 ? Encore une fois ce sentiment que tout est allé trop vite. Une année de dingue, que j’ai l’impression d’avoir passé en apnée, à ne pas voir la lumière du jour et le monde extérieur… Un océan de boulot dans lequel surnagent quelques instants de répit musical, à aller se détendre en concert, ou à s’isoler en écoutant un disque ou deux. Dans ces conditions, difficile de partir en quête de nouveaux sons : même si rien n’était planifié, ce sont finalement des artistes bien établis qui m’ont aidé à traverser cette année. Trois valeurs sûres et trois moments forts.
Le premier de ces vieux croûtons (c’est affectueux, hein), c’est Bowie. 2013 aura été son année. Retour surprise, inespéré, et flamboyant avec The Next Day, un album autoréférentiel. Un disque que j’ai acheté le jour de sa sortie, le 11 mars dernier, chose qui ne m’était pas arrivée depuis… je ne sais plus. Combien de fois l’ai-je écouté ? Aucune idée précisément, mais il s’est retrouvé très souvent dans mes oreilles tout au long de l’année, sa durée de 55 minutes correspondant exactement à celle de mes trajets pour aller au boulot. Il y a un paquet de bonnes choses sur ce disque : le titre éponyme (“Here I am, not quite dying”, phrase de l’année), l’émouvant Where Are We Now, ou le troublant Heat dans lequel Bowie avoue ne plus trop savoir qui il est.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, mon deuxième choix de l’année, ce sont les Stones. Je sais, cela fait bien longtemps que leurs disques ne valent plus tripette. Et j’ai plus d’une fois porté un regard moqueur, voire condescendant, sur leur tournée de 50e anniversaire et sur leur business outrancier (750 € le coffret collector Brussels Affair, pour un concert que tout fan qui se respecte possède déjà depuis 1973 en 18 éditions pirates ? sérieusement ?). Et puis on s’est retrouvés avec ma femme à Londres début juillet. Précisément le jour où les Stones jouaient le premier de leurs deux concerts à Hyde Park. Nous voilà donc, sans billet, en dehors de l’enceinte du concert, à chercher un endroit décent pour écouter le concert à défaut de le voir, au milieu de milliers de Londoniens ayant eu la même idée. Et on a A-DO-RÉ. On a fait les choeurs, chanté, compté les pains, craint le moment où Keith s’est mis à croasser, comme si on était à dix mètres de la scène et raqué 150 euros minimum pour rentrer. Venir en n’attendant rien de spécial et repartir le sourire jusqu’au oreilles : le bonheur.
Enfin, en 2013, j’ai passé beaucoup de temps avec Nick Cave. Plus calme sur son dernier disque, Push The Sky Away, mais toujours aussi déchaîné sur scène. Je l’ai vu deux fois cette année, la première au Trianon en février pour présenter sa dernière oeuvre en intégralité, la seconde au Zénith neuf mois plus tard. C’est la soirée au Trianon qui m’a laissé le souvenir le plus fort. Cave y était plus détendu, bavard entre les morceaux, sa complicité avec Warren Ellis était évidente (au Zénith, vu des gradins, les deux paraissaient plus distants, et pas seulement par leur éloignement physique). La qualité des morceaux de Push The Sky Away s’étalait au grand jour : mélodies instantanément mémorisables et paroles évocatrices, comme sur l’immense Higgs Boson Blues qui convoque à quelques lignes d’intervalle Robert Johnson et Miley Cyrus. Ce soir là aussi, les Bad Seeds durent s’y reprendre à deux fois pour jouer The Mercy Seat, la première version étant interrompue en plein décollage car pas assez puissante au goût du patron. Dans ces moments-là, uniques, j’oublie tous les soucis du quotidien et je savoure.
Dominic Chianese – “Cuore ingrata”
Extrait des Sopranos – 2001 – Chanson italienne
Georgi Kay – “Joga”
Extrait de Top of the Lake – 2013 – Indie pop
Tangerine Dream – “Betrayal”
Extrait de Sorcerer – 1977 – New age
Avant 2013, je n’avais jamais été ému par la mort d’une personnalité publique. Un peu de peine lors des disparitions de Jacques Villeret et Tony Scott, beaucoup d’appréhension en attendant celle de Jacques Chirac, et puis c’est tout, aussi loin que je me souvienne. La mort de James Gandolfini, survenue en juin dernier, m’a par contre bouleversé. C’était un fabuleux acteur mais surtout l’interprète de Tony Soprano, le coeur de la meilleure série de tous les temps, haut la main. Les grands shows ont ce pouvoir là : tisser un lien indéfectible entre les personnages et les spectateurs, si fort qu’il survit aisément à l’arrêt d’une diffusion. Grâce aux Sopranos, Gandolfini est immortel. Il existera pour toujours, la tête dans le provolone et les mains pleines de salami. Ce chant funèbre, interprété à la fin de la saison trois lors de l’enterrement d’un jeune homme, lui sied à merveille.
2013, c’est aussi l’irruption d’une mini-série de six épisodes, aussi apaisante que terrifiante, incroyablement dense : Top of the Lake, par Jane Campion. Un cirque des horreurs, coincé entre chaîne de montagnes néo-zélandaises et étendue d’eau bleue métallique. Top of the Lake, c’est l’espoir d’une vie nouvelle, de la régénérescence qui passe forcément par l’étape du deuil. L’occasion d’une scène clé, peut-être la plus belle vue cette année à la télévision, bercée par le son de Joga, reprise de Björk par Georgi Kay. Contrairement à la profonde mélancolie qui règne sur les Sopranos, le deuil est ici la condition du rebond, la seule possibilité pour certains personnages de s’extirper d’un ville-monde mortifère.
2013, c’est aussi une année qui remonte le temps et offre la ressortie, sur écran, de gigantesques chefs d’oeuvre. Il y a La Fille de Ryan bien sûr, de David Lean, pas mal de Kurosawa, de Pasolini ou de Wilder. Mais il y a surtout Sorcerer. Film maudit de William Friedkin, initialement sorti en 1977, animé d’une force supérieure et complètement magnétique. Le son de Tangerine Dream qui l’accompagne est obsédant, inquiétant, terriblement stimulant et propice à l’imaginaire. Parfait pour représenter 2013.
The Broken Circle Breakdown – “The boy who wouldn’t hoe corn”
Extrait de la bande originale d’Alabama Monroe – 2013
Sarah Adler – “L’homme de ma vie”
Extrait du film Pourquoi tu pleures ? – 2011
Da Silva & Bastien Lallemant – “L’Espace”
Extrait de Plutôt tôt, plutôt tard – 2005
2013 est une année country, il faudrait être aveugle pour ne pas s’en être rendu compte. Le bluegrass est devenu, grâce au sublime film flamand Alabama Monroe, étendard d’un american way of life fantasmé. Et puis il y a eu le phénomène télévisuel Nashville qui rappelle chaque semaine, et avec beaucoup de talent, que la country est un style tout sauf moribond. C’est la crise, le retour à la terre, à des valeurs rassurantes même si elles sont ancrées dans des territoires lointains. On ferme les yeux et on profite (et on empêche les larmes de monter, si on a vu le film).
C’est au moment du premier vrai décrochage de ma vie avec le cinéma (la naissance de ma fille) que je me rappelle d’une vague campagne d’affichage dans Paris avec pour star un chanteur que je connaissais si mal. Et puis j’ai oublié. Il a fallu des mois pour que je m’affranchisse de mes nouveaux fers et que je découvre, comme une renaissance, le travail, l’univers, le personnage Benjamin Biolay. Voir « Pourquoi tu pleures ? » est alors devenu indispensable. Et avec le recul, ce film (un vrai chef d’œuvre incompris) est devenu doudou, cette chanson, comme un leitmotiv, revient souvent dans ma tête. L’homme de ma vie a de grands yeux clairs… mais il n’a plus de cheveux… Finalement c’est un peu pareil.
C’est avec l’homme de ma vie que j’ai découvert l’univers joyeusement naïf de Mathieu Boogaerts. Seule avec un fils que je ne connaissais pas encore, j’ai souvent chantonné ses airs simples dans la première partie de 2013. Ça a été le déclic, puis le lien. J’ai envie de croire que les mélodies et les mots resteront dans un coin de sa mémoire. J’espère que Matthieu Boogaerts me pardonnera pour deux raisons : non seulement je l’ai désigné comme bonne fée pour mon fils, mais en plus j’ai choisi cette version de sa chanson parce qu’elle ressemble un peu plus à la mienne (j’imite très bien Da Silva).
Dj Rashad – “I Don’t Give a Fuck” (OVNI Remix)
Extrait de Double Cup – 2013 – Juke
The Necks – “Open”
Extrait de Open – 2013 – Ambient jazz
Ducktails – “Letters of Intent” (extended mix)
Extrait de The Flower Lane – 2013 – Indie pop
C’est assez arbitraire mais j’en conviens : chaque année est pour moi l’occasion de quelque part remettre mes goûts à zéro, de faire comme si presque rien n’existait auparavant. Début 2013, donc, je suis entré dans l’année musicale comme un petit enfant qui avait tout à construire. J’ai du explorer, jouer, j’ai fait quelques conneries et beaucoup de découvertes. Fin 2013, je dois faire les comptes. Rien d’extraordinaire, j’aime toujours beaucoup de choses. Je constate quand même que je n’ai pas écouté de metal, j’ai beaucoup essayé et à chaque fois la grimace (alors que les années d’avant, toujours quelques disques pour me sauver la mise). Par contre, j’ai eu un retour d’affection inattendu pour le jazz et je note aussi quelques percées pour des compositeurs classiques que je considérais comme perdus pour moi. Voilà, ni bonne, ni mauvaise, cette année m’aura amené au même point que les précédentes, à quelques décalages près. Et j’ai encore fait quelques grands écarts.
Dj Rashad, pour commencer. I Don’t Give a Fuck est pour moi un sommet indépassable de la musique ghetto. Ce morceau me sidère, pour la radicalité de ses samples vocaux, bien sûr, mais surtout pour la précision et la puissance de ses rythmiques. C’est captivant et cérébral comme de l’IDM de pointe, sauf qu’en plus on se prend des beignes dans la gueule.
The Necks, ensuite, aura été un de mes approfondissements de l’année. Open, leur dernier album, m’aura donné la bonne idée de parcourir une discographie ample et d’une beauté renversante. Open est la quintessence de leur jazz minimaliste inimitable. Parfait pour expérimenter le temps différement.
Je termine avec ma sucrerie pop de l’année, de Ducktails. Ça me ramène à ce bon vieux temps où j’étais nostalgique des années 80. Ce devait être en 2009 ou 2010.
L’intégralité de la PS’Playlist décembre 2013