PS’Playlist décembre 2013 (Benjamin, Dom Tr, Nathan, Laura & Arbobo)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2013 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
My Bloody Valentine – “She found now”
Extrait de m b v – 2013 – Shoegaze
Autechre – “jatevee C”
Extrait de Exai – 2013 – Electro
White Fence – “Chairs in the dark”
Extrait de Cyclops Reap – 2013 – Indie Pop
On espère toujours de l’année musicale à venir qu’elle apportera son lot de disques intéressants. On guette la surprise, on attend les découvertes et on trépigne souvent d’impatience pour pas grand-chose. Au final, lorsqu’on se retourne une fois l’année écoulée, on s’aperçoit que les événements qu’on avait crus marquant sur le moment se diluent au final dans un grand tout. On a de plus en plus de mal à déterminer des tendances et à identifier des points de ruptures, à la fois parce qu’ils sont de plus en plus rares, et en même temps parce qu’ils se fondent dans la masse. Au final, les déceptions et les emballements s’équilibrent, et les nouveaux disques remplissent leur rôle, pas mieux pas pire, que ceux des années précédentes.
De 2013, je me rappellerai les retours inespérés – qu’ils aient convaincu via leurs chansons (My Bloody Valentine), au travers de l’espoir qu’ils ont apporté (David Bowie) ou tout simplement parce qu’ils ont replacé l’auditeur au sein d’une zone de confort qui avait pu lui manquer (Boards of Canada) – et l’explosion de certains points de repères. Sur la sphère indie rock, alors qu’habituellement les grosses pointures déçoivent et laissent chaque année la place à de nouvelles sensations, ce sont justement elles (Low, Arcade Fire, The National, Midlake…) qui auront, contre toute attente lors des premières écoutes, remporté la mise. Plus ça va, plus j’aime les disques décevants, comme si leurs défauts les rendaient plus touchants (même si en réalité ce n’est surement qu’une question de feeling). A l’inverse, outre les valeurs sûres que sont pour moi Autechre et Tim Hecker, mon année électronique sera partie dans tous les sens. Alors que j’ai l’impression d’avoir écouté des centaines de disques d’electro / drone / ambient / house, seuls quelques-uns, parfois sortis de nulle part, ont transformé l’essai, avec pour seul dénominateur commun d’être des projets qui avancent et qui réfléchissent sur leur positionnement. Je pense en vrac à Witxes, Emptyset, The Haxan Cloak, Mika Vainio, Fausten, Hecq, Atom™ ou dans un registre plus accessible DJ Koze. Il en va encore différemment du hip hop où tout le ventre mou est resté justement très mou, pour soit laisser régner Kanye, soit pour faire de la place aux nouveaux (Kevin Gates, Earl Sweatshirt, Kaaris, Lucio Bukowski…).
Bref, plus que jamais, il est devenu impossible de « dégager des tendances » globales ; et au final on ne peut que s’en réjouir. Et puis, pour ceux qui ont peur de se perdre, 2013 aura été la concrétisation (s’il y en avait besoin d’une) pour deux labels capables d’ouvrir la marche : Sacred Bones et Raster-Noton.
Ce bordel ambiant, où tout part dans tous les sens, où ça va vite et où l’aspect brouillon ne nuit finalement jamais à la qualité, c’est peut-être White Fence qui l’a le mieux incarné en 2013.
Earl Sweatshirt – “ Sunday”
Extrait de “Doris” – 2013 – rap
Ace Hood – “Bugatti”
Extrait de “Trials & Tribulations” – 2013 – rap
Starlito – “Can’t Get Over You”
>Extrait de “Fried Turkey” – 2013 – rap
J’ai beau retourner la question dans tous les sens, écouter tout ce qui me tombe sous la main et vibrer grâce à des objets musicaux divers, peu importe la provenance, le rap reste la musique la plus à même de me faire atteindre un climax certain. Mieux, il est pour moi l’une des musiques les plus en phase avec son époque ; ayant rattrapé quelques années d’errance au début du millénaire pour s’ouvrir pleinement à son environnement. Surtout lorsqu’il se présente aussi divers et riche que ce qu’il a été une fois de plus en 2013. Les mois passent et je me surprends à bénir l’époque dans laquelle où nous sommes. Un momentum qui, quoi qu’on en dise, permet l’éclosion d’une multitude d’approches et de singularités musicales que nous envieraient probablement nos prédécesseurs. Dans ce maelström de sous-genres, chacun peut y trouver son compte tout en s’autorisant quelques détours, paris et twists évidemment imprévus.
En matière de twists, inutile de préciser que je n’attendais pas grand-chose du premier LP d’Earl Sweatshirt annoncé depuis de très longs mois. La déroute musicale de ses comparses d’Odd Future, Franck Ocean mis à part, n’autorisait que peu d’optimisme quant au résultat final. Mais à la faveur d’une rocambolesque histoire d’éloignement décidé par sa mère et par la révélation d’un Earl finalement plus profond que ce à quoi on aurait pu s’attendre, “Doris” s’est imposé comme l’une des très belles réussites de 2013. Un album à la fois différent, personnel et inspirant, dont l’impression d’errance et de semi-échecs post-adolescents qui nourrit chaque morceau aura conquis un large éventail d’auditeurs d’obédiences très diverses. La marque des plus grandes réalisations dont ‘Sunday’ s’impose comme l’un des porte-étendards évidents.
A l’autre bout du spectre, “Bugatti” doit beaucoup à la mise en son d’un Mike Will Made It plus que jamais au top de sa musique. Parvenant à imposer un rap à la fois ultra-catchy, inquiétant et agressif, gérant parfaitement temps forts et temps faibles, Mike Will fait passer l’hôte du morceau pour un MC relégué au second plan par une production de qualité supérieure, comme on en entend trop peu. Pas étonnant que “Bugatti” soit à ce jour le single le plus réussi de la carrière d’un Ace Hood qui reste, quoi qu’on en dise, un rappeur de qualité moyenne. Mais sublimé par le refrain d’un Future plus que jamais en roue libre et le talent de celui qui est à mes yeux le producteur le plus impressionnant et le plus régulier de ces deux dernières années, Ace Hood se trouve un peu malgré lui le vecteur d’un véritable hymne Sudiste, aussi vague que soit ce terme aujourd’hui en 2013.
Pour celui qui observe le petit théâtre du rap US régulièrement, il semble évident que le nom de Starlito devait finir par sortir de la simple zone de Nashville pour atterrir dans l’esprit et la bouche de tous les fans d’un rap difficile à classer mais ô combien efficace. A part de tout ce qui truste aujourd’hui le Billboard US, Starlito a changé de braquet en 2013 après avoir beaucoup navigué à vue, au point de presque se perdre. Noyé comme beaucoup dans l’antre Cash Money au coeur des années 2000, Lito revient en 2012 avec “Mental WARfare”, prélude à une année 2013 définitivement au top pour lui. Du haut de ses 28 ans, s’il reste en pleine construction de sa carrière, Jermaine Eric Shute a trouvé ce qui le différenciait des autres: être lui-même. Sa collaboration avec Don Trip et ses récents “Cold Turkey” et “Fried Turkey” auront fini de convaincre les sceptiques ou les aveugles de la pertinence de celui qui évolue dans des chemins de traverse, juste à côté des plus gros vendeurs de disques du moment. A la faveur d’un ‘Can’t Get Over You’ impressionnant d’émotion et de pertinence aux côtés de Ryan Hemsworth, la voix grave, les mots parfois avalés par un Starlito plus que jamais en proie à une errance amoureuse auront touché parfois au-delà du seul spectre rap, au point de se glisser de justesse dans bon nombre de tops et de classements de fin d’année.
Bound 2 – Kanye West
Extrait de Yeezus (2013) – Hip Hop
Doomless Stomp – Theo Parrish
Extrait de Original Versions (2013) – House
Amédé Ardoin – Le Blues du Voyage
Extrait de Mama, I’ll be long gone (2011) – Cajun
2013 en un mot ? Sincérité.
D’abord il y a cet album de Kanye West avec ses productions presque indus, sa violence, son egotrip poussé au plus loin. Kanye, comme Dieu, porte-parole de tout et donc de rien. Et puis, à la fin, Kanye casse l’ambiance. Une coda qui frise le ridicule, frôle l’aberration. Les grands espaces, sa belle moto, un plan de piano romantique, sa femme, Kanye nous la joue mauvais goût. Mais voilà, impossible d’en décoller les oreilles. Parce que Bound 2 est la seule trace de sincérité dans ce Yeezus. Mieux encore, c’est la seule trace d’humanité chez lui. Kanye West, artiste majeur, homme puissant, riche. Kim Kardashian, maman la plus médiatique du monde. Et derrière tout ça, une romance adolescente. Kanye écrit une chanson à son amoureuse comme s’ils avaient 13 ans et qu’ils se passaient des petits mots avec des poèmes en classe.
One good girl is worth a thousand bitches
Et là, moi j’y crois, et je vais graver « K+K FOREVER » dans un cœur sur un arbre dans la forêt.
Une année encore passée à me réconforter avec Theo Parrish. Theo qui ne se préoccupe plus de rien et continue d’expérimenter, de ressortir ses merveilles d’antan chez Sound Signature. Le bon vieux Theo a compilé ce qu’il préfère chez Black Jazz sans même vraiment le mixer, il a sorti l’étrange Dance of the Medusa. Mais surtout, il a ressorti ces « versions originales », avec ce Doomless Stomp qui n’en finit jamais, hypnose musicale et cérébrale à base de trois boucles et deux beats. C’est primitif, franc, austère et sincère, et terriblement chaleureux. C’est la définition canonique de la house music. Ici, le mot d’ordre est simple, « STOMP YO FEET », alors on s’exécute et on tape du pied en rythme avec tout son cœur.
2013 pour moi, ça a aussi été la Nouvelle-Orléans. Un coup de foudre aussi prévisible que réel. Une gentille obsession ensuite. Marigny, tes orchestres me manqueront. Il m’est difficile d’expliquer la fascination que cette ville renvoie. C’est une histoire de passion. Une passion pour une équipe (les Saints), pour des musiques (le jazz bien entendu, mais aussi le rap, le bounce, le zydeco et tant d’autres). Et cette passion, il semblerait bien qu’elle soit contagieuse. Depuis, j’ai le « blues de voyage » que chantait Amédé Ardoin sur les terres de Louisiane.
Nick Cave and the bad seeds – “The Mercy Seat”
Extrait de Tender Pray – 1988 – Post-punk
Kanye West – “Dark Fantasy”
Extrait de My Beautiful Dark Twisted Fantasy – 2010 – Hip Hop
Boards of Canada – “Rue The Whirl”
Extrait de Music Has The Right To Children – 1998 – IDM
L’actualité des sorties musicales, suivie de loin et d’une oreille distraite, reste pour moi l’occasion de combler des lacunes et de me plonger dans des discographies à contre-temps, pour en ressortir des albums incroyables que j’AURAIS DÛ connaître depuis longtemps. Ainsi cette année a été notamment l’occasion d’entamer une passion absolue pour Nick Cave, de passer d’excellentes soirées sur du Kanye West, et de rouler des heures sur fond de Boards of Canada.
Titre survolté, avec une tension qui fait bouillir le sang, qui fait mal comme ces rêves d’adolescence voués à tourner en rond sur eux-mêmes, cette chanson énerve pour rien, pour bouger la tête sur son lit pendant des heures en la repassant en boucle, comme on gratte quelque chose qui démange, jusqu’à être à vif, jusqu’à émousser sa sensibilité.
Dans un autre style, les chansons complètement grandiloquentes de Kanye West permettent une levée d’inhibition totale. C’est trop, ça n’a peur d’aucun effet de contraste, explosions, feux d’artifices sonores dans tous les sens (à l’image de ce clip improbable), mais ça marche à plein tube.
Enfin, les lignes hypnotiques de ce morceau de Boards of Canada m’ont accompagnée en boucle sur des routes de campagne désertes, entre le jour et la nuit, pour rêver éveillée quand tous les villages se ressemblent, quand les yeux lumineux d’animaux non identifiés nous observent du bord de la route, quand ça paraît indécent d’être là, de dénouer les nappes de brumes de ses phares alors que tout le monde dort.
Nick Cave – “ Water’s edge ”
Extrait de “Push the sky away” – 2013 – blues & pop
Robi – “où suis-je?”
Extrait de “L’hiver et la joie” – 2013 – new wave
Kim ki o– “Insan insan”
Extrait de “Grounds” – 2013 – electro wave
Evidemment j’aime énormément ces 3 titres, mais j’aurais pu en choisir quantité d’autres, à ceci près que le Nick Cave s’est imposé comme le disque qui m’a le plus marqué et accompagné en 2013. Cette simplicité, cette assurance, cette justesse, je ne m’en lasse pas. Après plusieurs années où les grands anciens n’apportaient pas grand chose d’intéressant, un disque aussi fort mérite quelques applaudissements et rappelle que ce n’est pas toujours chez les débutants qu’il faut chercher son plaisir musical. De Bowie à Daho, de My bloody Valentine à Bill Callahan, Goldfrapp ou Scout Niblett, les anciens sont redevenus des valeurs sûres. C’est une de mes joies 2013, après plusieurs années de sevrage.
Robi, elle bluffe par ses paroles en français qu’elle fait sonner à merveille façon new wave, d’une manière assez unique, et sur ce plan on a été servi cette année avec Holden ou Bertrand Belin, dont les voix et plus encore l’écriture sont singulières. Plaisir supplémentaire, Robi flirte avec un “chanté-parlé” qui a encore de beaux jours devant lui, et ce morceau repose sur la basse, une fois n’est pas coutume dans un univers dominé par les guitares. La basse du Bad girls de Solange Knowles, du Daft Punk ou du Blurred lines de Robin Thicke m’ont bien fait danser cette année, mais il était inimaginable de ne pas mettre de morceau en français dans cette sélection.
Et puis tous les ans la musique est une occasion de voyager. L’idée de “rock français” a longtemps fait rire, pour la pop c’était encore pire, et chaque année apporte son lot de pépites. La France n’est pas seule à savoir s’inspirer de la pop anglo-saxonne et y apporter une touche différente, les stupéfiantes japonaises Nisennenmondai le démontrent à chaque disque. Le duo Kim ki O, ce sont deux turques d’Istanbul, ville meurtrie cette année par de durs affrontement avec le pouvoir d’Erdogan. C’est avec la voix brisée d’angoisse et de colère qu’elles en ont parlé au public venu les applaudir à la Maroquinerie. Cette année, on peut aimer les disques de Tamikrest, Kim ki O, M.I.A ou Omar Souleyman pour ce qu’ils sont, de super disques. Mais ils nous rappellent aussi que pour les touaregs et les tamouls l’insécurité reste le quotidien, et qu’en Syrie le peuple est massacré tous les jours depuis 2 ans. Aux quatre coins de ce monde fou, leur chant Insan insan (“humain humain”) est un appel qui se cogne à la crosse de bien de fusils.
L’intégralité de la PS’Playlist décembre 2013