Homeland, saison 3 : l’âge de la maturité ?
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(Il est fortement conseillé d'avoir vu les saisons respectives avant de lire ces textes)
La troisième saison de Homeland est la synthèse de tout ce que cette série peut offrir de pire et de meilleur. La somme de toutes nos craintes mais aussi l’apothéose d’une logique sublime, qui domine ces trente-sept premiers épisodes : l’étouffement des passions, la destruction de la vie privée pour l’intérêt supérieur de la nation, aussi absurde qu’abstrait.
Avant le retour de Brody, au sixième ou septième épisode, la saison est d’une fainéantise extrême, incapable de générer des enjeux durables. Les scénaristes cèdent à la facilité qui menace toute série, de par son format long et étiré : surfer sur l’attachement des spectateurs aux personnages, délaisser ce qui fait le cœur de l’œuvre pour se vautrer dans des arcs narratifs ineptes. Du remplissage pur et simple, qui permet in fine d’assurer un ensemble plus ou moins cohérent de douze épisodes. Ainsi, la fugue de Dana avec un jeune homme dangereux ou encore l’enfermement volontaire de Carrie ne mènent absolument nulle part. Les personnages du fils et de la femme de Brody sont eux réduits au rang de marionnettes, encore présents parce qu’ils font nécessairement partie du décor mais ne portent plus aucune tension ni enjeu. On assiste donc à quelque chose de très laid en ce début de saison, qui peut rappeler la pige de Morientes à l’OM ou de Kluivert à Lille : un monument un peu trop gourmand qui au lieu de s’arrêter au sommet de sa splendeur, décide d’ajouter une deuxième cerise au gâteau. Faute de goût impardonnable, appendice honteux qui ternit un peu le tableau, comme si la Joconde portait une casquette.
Miraculeusement, et finalement assez logiquement, Homeland retombe sur ses pattes dès que Brody retourne dans l’arène. Pour la simple et bonne raison que la série repose essentiellement sur l’amour impossible qui l’unit à Carrie, passion tragique broyée par la folie d’un monde déréglé. La deuxième partie de la saison est alors parsemée de petites parenthèses enchantées, comme les retrouvailles dans la geôle entre les deux amants ou leur ultime moment d’intimité dans le dernier épisode, aspirant à la fondation d’une famille, « ce qu’il y a de plus important ». Même le personnage de Saul retrouve de l’épaisseur, contraint de prendre des décisions qui détruisent son environnement direct. Lorsque Carrie lui apprend qu’il a réussi un coup, qu’il va rester encore un temps à la tête de la CIA, sa réponse est d’ailleurs sans équivoque : « I’ll be damned ». Ces personnages-là sont littéralement maudits par leur fonction, phagocytés de l’intérieur par des obligations insensées et jamais questionnées. Le fil rouge de la série est d’ailleurs, fort logiquement, la destruction des corps. Celui de Brody est torturé durant huit ans dans une cave, puis battu, drogué et sevré avant d’être pendu, aux yeux de tous ; celui de Carrie est soumis aux électrochocs, aux médicaments, aux vomissements et aux balles. Complètement nue, elle est même passée aux rayons laser. Puis, dans un ultime rebond, elle tombe enceinte de Brody. Le corps n’est alors plus seulement maltraité mais s’improvise réceptacle de la vie, qui persévère en dépit des obstacles et d’un environnement hostile. C’est là toute la force de Homeland : mettre en scène le combat livré par la sphère intime, en permanence menacée d’annihilation mais sauvegardée par l’amour fou, « la mo-fo » comme disait Tony Soprano, qui défie toute logique. Une lutte au sommet, sublime et tragique.
En cette fin de troisième saison, Homeland se trouve une nouvelle fois à un carrefour de son existence. Brody est mort, Saul va probablement disparaître de la série, Carrie est délocalisée à Istanbul et va accoucher. L’enjeu porté par l’irruption d’un enfant est limpide, formulé par Carrie dans l’épisode 12 (« I can’t be a mother. Because of me, because of… my job »). La solution de facilité, pour les scénaristes, consisterait à s’en débarrasser d’une manière ou d’une autre, par exemple en confiant la garde à la famille de Carrie, hypothèse d’ailleurs évoquée dans le dernier épisode. Ce serait pourtant malhonnête et décevant : on n’a pas le droit de se défaire d’un arc narratif d’un coup de baguette magique, après s’en être servi à satiété pour susciter l’empathie. Surtout, ce nouvel élément pourrait proposer à la série de nouvelles dimensions, la reconstruction et un rythme apaisé : l’âge de la maturité ?