Dom Tr : Tu peux revenir sur l’histoire autour de Saaad, d’où le projet est parti et comment il a évolué. Tu étais seul au début c’est ça ?
Romain : Au début Saåad était davantage un projet secondaire, un truc expérimental à côté d’un groupe plus traditionnel dans lequel j’étais. Un refuge où je pouvais composer plus librement. C’est vite devenu autre chose et c’est aujourd’hui mon activité numéro 1. L’idée de base était de faire une musique vraiment bricolée, avec beaucoup d’éléments enregistrés sur des webcams. De travailler sans instrument et sans matériel pro. Les premiers drones viennent de silences enregistrés sur webcams et ralentis, mais au départ,il n’y avait pas des tonnes de choses, à part un ukulélé ou une voix. C’est devenu un duo depuis l’été 2011 et les lignes ont depuis pas mal bougées.
Tu es musicien à l’origine ou pas du tout ? J’ai vu que tu avais fait des études de graphisme et qu’aujourd’hui c’était ton activité principale, en-dehors de la musique.
Graphiste c’est ma profession mais j’ai commencé par la guitare et la musique reste ma première passion. J’ai été dans pas mal de groupes depuis mes 16 ans, en commençant par le grunge et le métal. J’ai chanté dans un groupe de hardcore qui s’appelait I Pilot Dæmon et qui a pas mal tourné entre 2007 et 2010. Au final, la musique a toujours été là et j’ai toujours fait des pochettes de disque. Je bosse aussi beaucoup avec Kongfuzi donc ça se recoupe au final. Saåad est arrivé tard en fait. Il y a pas mal de gens qui connaissent Saåad sans connaître mes autres projets, et inversement. Il faut dire que ce n’est pas super accessible.
Oui il y a la barrière du style qui joue. Si on n’a pas la connaissance des codes, des symboles autour et une affinité pour ça c’est toujours très compliqué à appréhender ou à faire découvrir.
C’est un style de musique assez difficile à présenter, et pour certains ce n’est pas vraiment de la musique. Ce n’est pas le projet que tu lances pour avoir plus de succès auprès des filles, ou dans ta playlist du samedi soir. Je ne pensais même pas que cela intéresserait des gens.
C’était un projet assez personnel au départ, donc, que tu ne cherchais pas forcément à faire écouter à un large auditoire ?
Tout à fait, oui. Honnêtement, s’il n’y avait pas eu 2 ou 3 personnes de mon entourage pour me dire “C’est super bien “, et notamment la personne avec qui je travaillais sur mes autres groupes à l’époque (Guillaume Gouzy de Lacrymal Records / Arty Empty), je ne sais pas si j’en serais arrivé là, si le projet serait sorti de ma chambre. Au départ je me suis contenté de les mettre sur Bandcamp et de les envoyer à des blogs de téléchargements que je suivais à partir de Pink Sabbath. Les choses se sont faites toutes seules au final, par le bouche à oreille, ça m’a assez surpris d’ailleurs. Les gens autour de moi s’en foutaient plus ou moins alors qu’il y avait un mec du fin fond du Nevada ou de la Sibérie qui m’envoyait des mails remplis de superlatifs …
Comment Greg, l’autre moitié de Saåad, est arrivé dans l’histoire pour créer votre duo ?
Je commençais donc à avoir pas mal de retours positifs et on me proposait de plus en plus de faire des concerts live. A la base, c’était pas du tout un projet pour le live ; je m’étais même interdit de le faire. Je ne voyais pas comment amener tous mes bidouillages studio sur scène et je n’en voyais pas l’intérêt non plus. Mais on m’a proposé la première partie de Tim Hecker, du coup je me suis dit “Bon ok, c’est l’occasion d’essayer de faire quelque chose”. Par timidité peut-être je n’osais pas m’attaquer à ça tout seul et j’ai demandé à Greg de venir me soutenir. Ça faisait un moment qu’il me disait qu’il aimait bien le projet et je savais qu’il était bon musicien. Il est donc arrivé pour le live mais n’est jamais reparti. Le concert n’a pas été terrible mais suite à ça on s’est trouvé une passion commune pour les petit bruits et les gros drones. Le projet à beaucoup gagné et l’émulation qu’apporte le format duo est vraiment un plus.
Il y a une évolution pour toi entre ce que tu faisais en solo au début et le moment où vous commencez à collaborer tous les deux ?
Au niveau de la manière d’enregistrer et des couleurs du son, clairement ça n’a plus rien à voir. Ça passe beaucoup par des éléments que l’on crée tous les deux, que l’on enregistre et que l’on manipule au final très peu derrière, tout est préparé en amont. Alors qu’au début c’était clairement l’inverse. Aujourd’hui il y a des synthétiseurs, des guitares … Sur les premiers disques j’enregistrais des sources un peu n’importe comment avec ma webcam ou des appareils photo et je passais des heures à les manipuler avec des pédales, des reverb… La démarche aujourd’hui est complètement différente et ça s’en ressent dans la musique elle-même, enfin j’espère. On essaie d’évoluer et de choisir une nouvelle d’approche à chaque disque, d’aborder les choses différemment. Sur notre prochain disque on a même décidé de jouer sans nos 3 ou 4 couches de reverb habituelles, on a du apprendre à jouer différemment, à être plus direct. L’arrivée de Greg a permis de faire évoluer Saaad vers quelque chose de plus live, qui existe au delà des enregistrements, c’est la principale différence.
D’un point de vue esthétique, on vous associe pas mal à l’étiquette “dark ambient”. C’est un univers familier pour toi ?
J’aime certains trucs étiquetés “dark ambient”, la musique sombre et mélancolique ça nous parle, mais on ne se réduit pas à ça. Ça se ressent dans le nom du duo qui peut se traduire par “Triiiiiiiste”, une forme d’auto-dérision par rapport à cette étiquette. Au départ il y avait pas mal de cercles roses dans l’esthétique du groupe, pour aller à contre pied de ça justement. Mais au final ça ne marche pas … Du coup on a fini par mettre des trucs plus dark à chaque fois et on finit par venir nous dire “C’est l’album le plus dark que vous ayez fait”. “Orbs & Channels” en est un bon exemple alors qu’il y a Hangover#8, Soft Drug, Forever Late ou Au-Delà qui sont loin d’être l’incarnation du mal. Mais j’espère que tout le monde ne nous réduit pas à ça, même si notre musique est souvent mineure. La plupart du temps on voit ça comme un truc apaisant, méditatif voir curatif.
Mais vous véhiculez cette image là dans votre musique. On ressent un lien avec les musiques indus des 80’s qui tiraient vers l’ambient par exemple. Çà fait partie de vos influences ?
J’avoue que j’ai eu un peu le déclic pour ce style en faisant le premier disque, un peu par hasard. J’ai été séduit en le faisant et c’était assez neuf pour moi, je n’ai pas été particulièrement guidé par de vieux groupes emblématiques du genre. S’il y a un coté dark il doit venir de mes racines dans le noise des 90’s qui est devenu le post hardcore et de nos préférences pour les musiques mineures. Aujourd’hui nos influences restent assez larges, on écoute peu de musiques comme la notre en fait. Encore moins de l’indus. Au final on est surtout guidé par les vibrations du son dans la pièce, quand on arrive à lâcher prise et se perdre dans le son, on sait que ça se retrouvera sur une sortie.
C’est vrai qu’on ressent vraiment une sensation d’expérience live en écoutant vos morceaux. Je ne sais pas si vous revenez beaucoup dessus après l’enregistrement mais c’est une impression forte d’assister à quelque chose, pas de simplement écouter une musique.
Certaines choses sont très travaillées, d’autres moins. Si tu prends des éléments récents dans la discographie de Saåad, surtout depuis “Confluences” en 2012, tout est très proche de ce qu’on fait en live. C’est l’idée que je développais tout à l’heure : autant sur les premiers disques on pouvait travailler pendant des heures sur les sources, autant maintenant on manipule beaucoup en amont et puis on enregistre. Nos enregistrements sont souvent des premières prises puisque à majorité improvisées. Sur l’album qu’on est en train d’enregistrer pour Hands In The Dark, certains morceaux font 5-6 minutes mais en live on peut les pousser jusqu’à 15 ou 20 minutes. C’est surtout ça la différence.
En live il y a ce coté “expérience forte”, avec le volume et l’exigence de se taper un set de drone qui te prend au corps. On va jouer sur les longueurs car un gros sub qui ondule avec une grosse façade ça mérite de se boucler. Sur disque on essaie d’aller droit au but … Même si on a l’on fait avec “Confluences” ou sur notre split avec Insiden, on préfère avoir des albums avec un panel d’émotion plus large que deux longues pistes.
Il y a d’ailleurs pas mal de groupes qui fonctionnent beaucoup d’abord sur l’essence live de leur musique. Les gens ont souvent l’image de musiciens en studio qui travaillent beaucoup leurs morceaux alors que les artistes vont d’abord te dire que pour eux ils recherchent une expression live de leur musique avant de la penser enregistrée.
Je vois ce que tu veux dire mais pour nous le plus compliqué c’est surtout qu’il nous est impossible de refaire les morceaux à l’identique en live. On a abandonné cette idée et à chaque concert on peut tout foirer. Tout est improvisé, même si à chaque fois on a un thème mélodique ou quelques notes en tête, voir quelques samples. C’est impossible de faire deux fois la même chose. Pour l’album, on a enregistré dix versions de certains morceaux qui n’ont rien à voir entre elles. De ce point de vue là, le live est compliqué à préparer, il y a toujours une part d’inconnu. Mais globalement, ce que tu entends sur disque, c’est à peu près ce qu’on fait en concert tout en gardant un côté à chaque fois nouveau, même pour nous.
Au-delà de la musique, Saåad évolue surtout dans un environnement graphique très travaillé et assez affirmé. Je me suis baladé sur le web et je suis tombé sur beaucoup d’éléments visuels qui viennent enrichir l’expérience musicale que vous proposez. J’ai parcouru ton site, Iamsailor.com, où j’ai pu voir tes réalisations pour beaucoup de groupes différents, dont Saåad. C’est important j’imagine ce point là pour vous ?
En fait, la difficulté avec la musique de Saåad c’est qu’en-dehors des titres des chansons, les seuls éléments qui vraiment nous permettent de nous différencier et de nous exprimer, ce sont les pochettes et les vidéos. En tant que graphiste, tu imagines bien que c’est super important. C’est mon projet solo à l’origine alors forcement les pochettes racontent quelque chose en plus. Ce sont des images auxquelles je suis attaché, parfois depuis des années.
Effectivement, en reprenant toutes les pochettes de vos disques, cette idée du travail de la couleur c’était une réflexion que je m’étais faite, sans forcément savoir à l’origine que c’était tout à fait pensé. On voit réellement le fil directeur intéressant dans le choix d’une couleur dédiée et la mise en scène des éléments visuels. C’est pas si fréquent de la part de musiciens. Surtout dans un genre qui tend à gommer l’identité de ceux qui sont derrière la musique.
En général, on choisit à l’avance une couleur pour chaque disque avec de commencer. Souvent, on travaille la pochette 2 ou 3 mois avant d’avoir fait le disque et elle nous inspire tout au long de l’enregistrement. Mais on n’est pas les seuls pour qui le visuel est super important. On évolue pas mal dans l’univers des labels k7 et je trouve au contraire que les gens réfléchissent beaucoup sur l’esthétique et la couleur dans ces musiques. Félicia Atkinson / Je Suis Le Petit Chevalier est un bon exemple d’une artiste avec un univers graphique fort et réfléchi. Je pense que les musiques ambiantes et drone sont des musiques visuelles, elle font travailler l’imaginaire un peu à la manière de la photographie, beaucoup de choses se passent hors-champ. Par rapport au fait de gommer l’identité, je ne vois pas pourquoi on devrait se cacher derrière des pseudos et être mystérieux pour autant.
En parlant d’impression de répétition justement, comment vous faites pour ne pas trop tourner en rond ? Saåad pratique un genre de musique qui n’est pas le plus expressif, clairement, sur les aspects mélodiques ou autres formes de structure musicale qui permettent à l’auditeur de bien différencier les morceaux. Du coup combiner votre musique à votre travail sur les aspects graphiques donnent une forme de guide à l’auditeur, l’impression d’évoluer avec le groupe, clairement. Ça t’évoque quoi cette réflexion ?
Je ne suis pas d’accord : la mélodie a toujours été le fil conducteur de notre musique. Ce n’est pas comme si on s’acharnait à faire du drone pur. Si tu prends le premier disque de Sunn o))), ce ne sont pas forcément ces éléments qui nous parlent, même si beaucoup de gens désignent ce disque comme une référence du genre. On est vraiment guidé par la mélodie, Greg est très influencé par le classique, le baroque surtout. Du coup, s’il n’y a pas de mélodie ça ne nous intéresse pas. Pour nous c’est souvent le coeur de l’émotion . Il y a plein d’artistes drone pour lesquels je suis un peu comme toi : je me dis qu’ils pourraient sortir un disque toutes les semaines, ça ne me parlerait pas ou seulement en live, pour vivre une expérience. On est très loin de la musique concrète et on arrive peut-être à parler à davantage de gens parce qu’on essaie toujours de se raccrocher à cet aspect mélodique. Et ça se voit dans notre public, qui est assez hétérogène. De notre coté on change de matériel, d’instruments, de façon de procéder et à chaque fois on découvre de nouvelles choses.
Puisque tu abordes le sujet du public et de sa diversité, je trouve que vous êtes relativement bien suivi pour un groupe avec le type de musique que vous faites. C’est pas si courant en France, on n’a pas vraiment de groupes emblématiques du genre aujourd’hui, c’est plus confidentiel. Mais Saåad parvient à toucher beaucoup de gens différents. Même si vous travaillez beaucoup autour de l’idée de mélodie, ça reste un genre pas forcément facile d’accès.
Peut-être que le fait que l’on ne soit pas nous non plus de vrais fans de base de drone aide à diluer un peu plus cet aspect là. Du coup on rencontre beaucoup de gens différents, Greg joue avec Mondkopf depuis peu, on reçoit pas mal de mails de gens incroyables, ça nous motive beaucoup. Des gens qui travaillent au Parlement Australien qui nous ont contactés, on a eu Warren Ellis, l’auteur de comics qui a été l’un des premiers à parler de nous sur son blog. C’est ce qui nous intéresse le plus, d’être écoutés. On ne cherche pas forcément à plaire exclusivement aux fans de drone. Mais c’est commun à tous les artistes de toute façon : on a une émotion et on essaie de la partager avec tout le monde. On ne cherche pas à être adoubés par la scène drone / ambient en tout cas.
Tu peux me parler de BLWBCK et du lien avec Saåad ?
A la base, on est 3 à avoir monté BLWBCK (ndr : prononcez “Blowback”). On jouait tous dans un groupe qui s’appelait Montreal On Fire. J’ai quitté le groupe mais on est resté super potes. C’est avec Saåad qu’on a sorti les premières tapes et elles ont super bien marché. Au départ on ne sortait que nos projets plus expérimentaux et ceux de nos potes. Le label s’est fait connaitre avec Saåad et Noir Cœur et c’est vrai que comme je m’occupe des deux, on fait forcement le lien.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire de prime abord, vous sortez pas mal de choses différentes justement sur BLWBCK. Vous revendiquez vouloir vous ouvrir à des styles très divers, au-delà du drone, en allant vers des musiques très psychés ou très expérimentales, par exemple.
Tout à fait, on écoute pas mal de choses différentes tous les trois. On a déjà prouvé que l’on aime sortir des k7 variées, comme de la pop ou du black metal. On n’ira pas jusqu’à sortir des musiques qu’on n’écoute pas, comme du raï par exemple, mais on aimerait beaucoup travailler avec des artistes africains et des gens qui font des choses plus traditionnelles. On avait quelques contacts qui n’ont finalement pas abouti.
En tout cas le format k7 permet aussi de se dire que demain on peut sortir un disque très expérimental sans que ça coûte beaucoup d’argent, juste pour le plaisir de le faire. Avec nos groupes, on a connu ça de sortir un disque puis de faire des tournées en continu pour écouler 300 copies, c’est compliqué. Avec le genre de musique que fait Saåad, c’est vrai qu’on peut enregistrer un disque en 15 jours, attendre 5 à 6 mois pour l’exploiter et entre-temps en enregistrer deux ou trois autres, même si avec le temps on devient de plus en plus lent.
C’est quoi le modèle de BLWBCK aujourd’hui ? Celui d’un label qui sort des k7 en priorité tout en faisant des sorties régulières avec des artistes proches du label ?
C’est vrai que le principe de base c’était que l’argent ne devienne pas un élément bloquant à la sortie d’un artiste. Et qu’on puisse faire un label pour le plaisir de le faire sans parler de tunes c’est assez cool. Le format k7 nous permettait donc de travailler en continu à des coûts réduits. Depuis deux ans on est sur un rythme d’environ deux k7 par mois. Mais on n’oublie pas que la majorité des gens qui écoutent nos artistes c’est via le digital. Même si on est très suivi, chaque sortie c’est uniquement 60 exemplaires d’une k7. Mais derrière ça, c’est 1000 téléchargements, par exemple. Avec BLWBCK on se voit plus comme des gens qui diffusent de la musique en fait, comme un blog qui choisit un artiste chaque mois et qui va te dire “Ecoute ça, c’est super”.
Le fait que la musique soit écoutée par le plus grand nombre c’est d’abord ce que vous recherchez ?
Clairement, oui. On est de grands fans de vinyles tous les trois. C’est vraiment quelque chose qu’on aimerait faire sur BLWBCK mais ça voudrait dire que toute la cagnotte de l’année on la concentrerait sur une sortie, ce serait dommage. Du coup on se voit plutôt comme une passerelle pour des artistes et on essaie de multiplier les opportunités. Par exemple, avec Saåad aujourd’hui on collabore avec HITD parce qu’ils peuvent faire ce que nous on ne peut pas faire avec BLWBCK. Noir Coeur aussi discute avec d’autres personnes, Ameeva aussi. Nous on est super contents de voir qu’en sortant nos petites k7 avec notre bande de potes, tout le monde aujourd’hui arrive à avoir des articles et à signer ailleurs. Ça montre qu’on a eu raison de croire en nos goûts.
En parlant de Noir Coeur, ils ont eu une année 2013 assez réussie. J’ai suivi ça d’un peu loin mais je les ai vu cités dans pas mal d’endroits, jusque dans Les Inrocks par exemple. C’est important pour vous ces éléments de validation du travail fait par le label ?
Ce qui est cool pour eux, c’est qu’un grand nombre de gens se mettent à écouter leur musique puis se rendent compte qu’ils ont sorti une k7 et ils nous disent “Ça existe encore ces formats là ?”. C’est une forme de fierté. Idem quand ça vient de personnes comme Les Inrocks. Avoir cette presse là ou d’autres comme Hartzine qui soutiennent notre micro-label, ça donne un sentiment d’utilité à ce qu’on fait, faire découvrir des gens talentueux. Et surtout ça nous permet demain de sortir le disque d’un autre pote réalisé dans sa chambre la semaine d’après.
C’est le modèle le plus “sain” finalement.
En fait on a surtout vite compris que si on voulait fonctionner différemment, il faudrait que l’on rentre dans des problématiques de fabrication, d’augmentation du nombre d’exemplaires, de diffusion de la musique… qui rendraient tout le travail fait sur BLWBCK encore plus chronophage. On a choisi de rester comme on est, un peu à l’arrache. Aujourd’hui ça commence à bien marcher et on en est fiers. Surtout qu’au début, personne ne s’intéressait au projet, on ne nous prenait pas au sérieux. Au final, le succès relatif dernièrement de Noir Coeur ou Almeeva, dans un style assez différent de Saåad, vient valider tout ça. Je vais même aller plus loin : on pousse clairement au téléchargement. On a harcelé No Data pour qu’ils mettent nos disques en ligne. Jusqu’au jour où on a rencontré un artiste qui se trouve être l’une des personnes derrière ce site. Et ça a permis à un très grand nombre de gens d’écouter la musique de BLWBCK. On donne des liens directement à ces plateformes pirate. On peut faire le suivi et on se rend compte qu’en une journée on peut atteindre 1000 téléchargements. Beaucoup téléchargent et n’écoutent pas la moitié de ce qu’ils ont sur leur disque dur mais au moins c’est une opportunité en plus de faire découvrir la musique que l’on défend.
Personnellement je n’achète pas de MP3, ça ne m’intéresse pas, je préfère acheter le vinyle directement quand c’est possible. Je n’ai pas d’iPod, pas d’iPhone mais je vois que des gens aiment ça puisqu’on en vend. On pousse nos artistes à diffuser leur musique au maximum, gratuitement. Même les très gros artistes sont obligés de le faire. C’est une grosse problématique pour la promotion aujourd’hui, tout le monde balance tout et faut se démerder dans ce 6ème continent virtuel. J’aime bien lire des médias, comme SWQW, Gonzai ou Hartzine, qui s’intéressent à beaucoup d’artistes peu connus et qui remettent bien les choses en perspective, avec des avis tranchés, mais globalement ça reste assez rare et on surfe sur les modes du moment et des flux de contenus vide parce qu’il faut un post sur le blog avant midi. Aujourd’hui la presse s’intéresse à la k7, ça éveille la curiosité sur les labels qui font ça, mais bon c’est pareil, c’est juste parce que ça fait du papier. Ils sont peu nombreux à vraiment soutenir des artistes qui sortent seulement des tapes, même si ça existe fort heureusement. On veut faire en sorte que le maximum de gens puissent y avoir accès, alors on l’offre, libre à eux de revenir et de nous faire une donation s’ils pensent qu’on le mérite. On oblige l’auditeur à choisir.
Pour revenir à Saåad, l’album chez Hands In The Dark est prévu pour quand ?
C’est pour mi-avril. Ce sera vraiment le premier vinyle pour Saåad, si on ne compte pas la compilation d’Unknown Precept, c’est un disque très important pour nous.
Il y a pire que de sortir son premier vinyle avec Morgan et Onito.
C’est clair. On avait déjà eu une super collaboration avec la tape “Orbs & Channels” sortie chez eux l’année dernière, on était très contents du résultat et on a voulu réitérer cette expérience. L’été dernier ils sont venus nous voir en nous demandant si ça nous intéressait de bosser avec eux sur une sortie vinyle. Pour nous, c’est clairement l’idéal de faire ça chez HITD.
Vous avez d’autres projets déjà prévus ?
En fait, ce disque chez HITD a été très dur à faire, pour nous. Il nous a obligé à changer un peu notre façon de fonctionner, même s’il n’y a pas une énorme révolution musicale par rapport à ce qu’on faisait avant. On a enlevé beaucoup d’effets. Au lieu d’avoir trois couches de reverb, il n’y en a plus qu’une petite. Du coup on a du travailler autrement pour recréer les mêmes sensations. J’ai pas mal travaillé sur un synthétiseur analogique. On s’est dit qu’avec deux instruments ça suffirait, sans avoir à ajouter des milliers de couches ou d’éléments. Pour l’instant, on a décidé de souffler un peu. Là on travaille sur une exposition à Washington D.C. : une pièce à base de field recordings. Des baffles accrochées sur un mur d’une galerie, chaque baffle diffuse une piste sonore et quand tu écoutes toutes les baffes ensemble, en fait ça recrée le morceau complet. On a aussi un projet de faire un album avec Eus & Postdrome. On a beaucoup aimé faire le premier et nos projets ont évolué, on a tous sorti des choses entre temps. Ça nous semble intéressant de se confronter de nouveau à eux aujourd’hui. En ce moment on a envie de faire pas mal de collaboration. On en parle depuis longtemps avec Paul de Mondkopf et il faudrait qu’on s’y attaque. On verra bien ce que l’on a le temps de faire.