PS’Playlist décembre 2014 (Julien, Lucile, Arbobo, Thierry)
Les playlists de décembre sont une sélection de trois morceaux par contributeur du site, représentative de leur année 2014 : des chansons actuelles ou anciennes, celles qui sont revenues comme un leitmotiv tout le long de l'année ou des découvertes ; le tout accompagné d'un texte personnel. Elles sont réunies par groupe de quatre ou cinq plombiers.
Lewis – “It’s a new day”
Extrait de Romantic Times – 1985 / 2014 – Art pop
Mike Cooper – “The singing tree”
Extrait de Places I know – 1971 / 2014 – Folk
Parvāneh – “Mansuri (Chahārgāh)”
Extrait de Let No One Judge You, Early Recordings From Iran, 1906, 1933 – 2014 – Musiques d’archives
Dans mon désir de connaître de plus en plus et de mieux en mieux la musique, je m’y prends généralement par deux bouts : soit par des poussées horizontales – découvrir des nouveaux artiste par élargissements successifs – soit par des poussées verticales – s’enfoncer dans des oeuvres jusqu’à leur tréfonds. Généralement, cela correspond à deux façon de consommer : dans le premier cas, il s’agit grosso modo d’écouter le maximum de nouvelles sorties ; dans le second, d’explorer en totalité des artistes ayant marqués l’histoire de leur genre. Seulement, cette façon de procéder est au final un peu trop rationnelle. Donc, pour donner un peu de piment à mes semaines, j’écoute aussi un maximum de rééditions. Pas les rééditions qui consacrent des disques déjà « bankable », non, celles qui au contraire remettent en selle des segments oubliés du passé. L’histoire est orientée, on le sait. D’un bouillonnement mondial qui se poursuit depuis les années 50, on ne retient toujours que des lignes de force. La réalité est en effet constamment épurée, vidée de sa complexité. On la prive de de toutes ses nuances pour la réduire en récits canoniques. Heureusement, les rééditions sont là pour nous rappeler comment ça marche. Eh oui, dans les années 80, même des beaux gosses à la ramasse pouvaient faire des trucs aussi beaux et étranges que David Sylvian ou Mark Hollis (Lewis). Aussi, il existe des traces de la musique qu’on jouait en Iran il y a un siècle (Parvāneh). Enfin, au tournant des années 70, il n’y avait pas que Nick Drake ou Dylan à posséder un songwriting exceptionnel (Mike Cooper). Bref, le passé est définitivement un truc rafraîchissant.
Rihanna – “Diamonds”
Extrait de Unapologetic – 2012 – Électro pop
Vincent Delerm – “Bruits des nuits d’été”
Extrait de Les Amants parallèles – 2013 – Chanson
Anna Mouglalis & Éric Elmosnino – “La Javanaise”
Extrait de Gainsbourg, vie héroïque – 2010 – Chanson
C’est une scène de cinéma dans un film qui a marqué ma mémoire. Je me découvre assez tard la capacité à me sentir submergée émotionnellement par une scène ou par une musique. Enfin, après des années à souffrir d’un cynisme et d’une retenue profondément ancrée dans mon quotidien, je suis de nouveau perméable aux choses. Je redécouvre ces sentiments de l’enfance, les étoiles dans les yeux, les papillons dans le ventre et parfois les larmes qui montent. Il n’y a pas de raison dans notre monde d’aujourd’hui, avec le contrôle strict de mes émotions auquel je me suis pliée pendant deux décennies, que je sois émue aux larmes par une scène où un groupe de jeunes filles dansent en robes de polyester sur de la pop formatée et pourtant ça a été le cas. La libération de leurs barrières à l’image a donné un dernier coup de marteau aux barrières qu’il restait en moi. Je ne sais pas si je dois remercier Céline Sciamma ou Rihanna, peut-être les deux, mais je suis reconnaissante.
5 ans après, 2 enfants après, il reste celui que je retrouve dans des hôtels l’après-midi. Je n’arrive pas à me défaire de cette image que j’ai de lui. De ses mots, de ses hésitations, de ses erreurs et de ses instants de bravoure. Il y a la vie d’avant et il y a lui, et la vie avec lui. On vieillit ensemble et je garde néanmoins en tête la petite musique délicate et précaire de nos retrouvailles clandestines. Peut-être le fait d’être tombée une fois, donne t-il ce goût amer mais précieux aux années que nous passons ensemble. Les chiffres confirment, les rides, les photos, nos noms accolés sur l’état civil de nos enfants mais pour toujours au fond de moi il reste celui qui porte des t-shirts aux couleurs trop vives, aux cheveux fous avec ses boucles qui glissent entre mes doigts, ce fumeur et buveur de Guinness. Pour moi ce printemps il y a 5 ans, le premier de toute ma vie, ne s’est jamais arrêté.
« J’avoue j’en ai bavé, pas vous, mon amour ». Cette phrase sur un t-shirt m’a fait oublier celles qui suivent dans la chanson. On ne se rend compte que trop tard que quelques notes de musique et quelques mots d’hier écrivent une issue fatale sur des sentiments qu’on voudrait toujours voir durer. J’ai laissé ce t-shirt qui m’allait si bien avec quelques souvenirs et des regrets dans un appartement où je n’ai jamais été à ma place. Elle a été aussi cruelle que belle, ma javanaise, je suis toutefois heureuse d’avoir pu la danser. L’amour qui dure le temps d’une chanson, c’est toujours de l’amour.
Marie-Flore – “Loud dark crowd”
Extrait de By the dozen – 2014 – Pop
Neneh Cherry – “Blank project”
Extrait de Blank project – 2014 – Electro
Manicure – “сон”
Extrait de ВОСХОД – 2014 – Post-punk
Un jour, Marie-Flore chantera en français. Elle régale déjà en concert d’un inédit dans cette langue. Elle rejoindra alors d’autres artistes françaises inspirées et fortes, qui profitent pleinement de l’alternance avec l’anglais, Laetitia Sadier, ou La Féline. D’ici là, leur seul point commun aura été en 2014 de nous ravir les sens et le coeur par des disques inimitables tant ils ressemblent chacun à leur auteure et démontre qu’elles occupent une place à part dans le paysage musical. Marie-Flore peut aussi se targuer d’apporter chez nous les inspirations de Jarvis Cocker, Lou Reed, voire Leonard Cohen, sans perdre sa personnalité. Non seulement Marie-Flore a trouvé sa voie, mais grâce à elle nous découvrons une incroyable voix… et bien plus.
C’est plus qu’un retour, car en réalité avec différentes formations elle n’est pas resté très longtemps entre deux enregistrements. C’est plus qu’une joie aussi, car on a adoré Neneh Cherry, et elle porte son art à un tel niveau ici qu’on l’aimera désormais follement. Ce disque hanté et surpuissant réédite l’exploit final de Gil Scott-Heron. Avec une rigueur impressionnante que pourrait revendiquer l’indispensable Grouper, mais le panache en plus. Il rappelle aussi combien les grands disques des gloires des 25 dernières années sont rares. Marianne Faithfull aura été réjouissante cette année, Ben Watt émouvant, et Jack White électrisant. D’autres comme Sharon Jones, Lee Fields, Timber timbre, ont été presque à leur meilleur niveau. Presque. Neneh Cherry, elle, aura été presque parfaite à sa manière. Presque, mais juste un petit peu mieux que parfaite.
Manicure, comme les niortais My secretary, La Féline, ou encore bien d’autres cette année, a porté brillamment les couleurs de la new wave. Mais depuis leur précédent album, Zhenia Novikov a changé d’idiome pour assumer sa langue natale. De la new wave en russe, rien que l’écrire plonge dans la perplexité, mais quelques secondes suffisent à dissiper le doute. Pas besoin comme Sigur ros d’inventer une langue. Il suffit, comme Nina Hagen, Neu ou Einsturzende Neubaten en allemand, comme Baba Zula ou Erkin Korai en turc, comme Juana Molina, Tinariwen, Tamikrest, l’orchestra babobab, OOIOO, Afrirampo, Nacho Humbert, l’African jazz, et comme tant d’artistes en français, d’écrire dans sa langue natale.
La “sono mondiale” chère à Bizot est entrée dans son deuxième âge. Celui où l’on peut à la fois assumer des racines locales et des influences anglophones. “Sneg”, chante aussi Manicure, la neige. La neige a la même couleur partout où elle tombe.
St. Vincent – “Bring Me Your Loves”
Extrait de “St. Vincent” – 2014 – Pop contemporaine
Pulp – “Help The Aged”
Extrait de “This Is Hardcore” – 1998 – Pop lyrique
Lee Hazlewood – “My Autumn’s Done Come”
Extrait de “The Very Special World Of Lee Hazlewood” – 1966 – Pop élégiaque
En étant honnête avec moi-même, je dirais que mes phases de quête effrénée de nouveauté, en musique, ne sont qu’un moyen de chercher à retrouver un certain paradis perdu : celui des premières émotions, des premiers chocs. Les plus marquants. Un jeu de dupes, dans la mesure où l’on ne se baigne pas deux fois dans la même rivière ; et d’autant que je ne sors que rarement de ma zone de confort, celle qu’on qualifiera de rock, pour aller vite, dans la mesure où, malgré tous mes efforts, je n’arrive guère à pénétrer vraiment les arcanes des musiques électroniques ou du rap.
N’empêche que, de temps à autre, j’ai encore l’impression d’arriver à être synchrone avec l’époque. Ou des artistes qui le sont. En 2014, ç’aura été le cas avec St. Vincent, dont l’album sans titre m’accompagne depuis janvier, et que j’ai vue trois fois dans l’année. Annie Clark s’est métamorphosée en une sorte d’androïde glaciale mais fascinante, au carrefour entre l’aliénation et l’envie de liberté, l’efficience technologique (le son numérique délibérément froid) et l’envie de tout déchirer (les éclats de guitare sursaturée). Une façon qui en vaut bien d’autres de témoigner de la confusion ambiante.
Et puis il y a d’autres périodes où la musique a presque une fonction de doudou, où elle permet de se rassurer en se repliant sur des chansons déjà connues et les sentiments qu’elle reflètent – où qu’on y projette. C’est ainsi que, tout premier degré assumé, cette incitation à s’occuper de bonne grâce des anciens – à laquelle on a toute chance d’être confronté un jour, ne serait-ce qu’à travers ses parents – a pris pour moi un relief que je ne lui connaissais pas. Même si je sais bien que Jarvis Cocker pensait avant tout à lui-même en l’écrivant, du haut de ses 34 ans à l’époque… Alors qu’aider les personnes âgées, en réalité, n’est que rarement une sinécure.
Une fois qu’on a – contrairement aux bons conseils de Jarvis – placé ce qui vous reste de famille en maison de retraite, il faut bien se rendre à l’évidence : on a beau faire le jeune, on est le prochain en ligne de mire. D’un autre côté, prendre de l’âge avec l’élégance de Lee Hazlewood, c’est une perspective stimulante. Une élégance aussi bien musicale (mélodie d’un parfait classicisme, arrangements discrètement moelleux) que non dénuée d’humour désabusé : tout ce que demandait le (pas encore si) vieux renard, c’était qu’on lui fiche la paix lorsqu’il se sentirait décliner, avec un cigare et un whisky tassé à déguster dans un hamac. Une philosophie à laquelle je souscris volontiers.