Swans, père et mère (2ème partie)
A l'occasion de la sortie de The Seer, Playlist Society organise une semaine spéciale Swans.
The Seer, l’accomplissement via l’équilibre des figures
Michael Gira ne s’en cache pas lorsqu’il parle de The Seer : « It’s the culmination of every previous Swans album as well as any other music I’ve ever made, been involved in or imagined ». Il ne s’agit pas d’une de ses grandes déclarations ridicules que de nombreux groupes brandissent à chaque fois qu’ils sortent un nouvel album (ça ou le fameux « retour aux sources »). D’ailleurs c’est la première fois que Michael Gira parle d’achèvement. S’il se permet une sortie un peu péremptoire de ce genre, c’est vraiment parce que The Seer représente formellement l’apogée des recherches de Swans en matière de son, de méthodes de travail et de production. Plus encore, il apparaît comme un album incarnant l’équilibre : équilibre entre les ambitions bruitistes et mélodiques du groupe, équilibre entre les titres instrumentaux et ceux chantés, équilibre entre les parties en développement et celle en mode hypnotiques, équilibre entre les titres courts et ceux qui s’étendent sur plus de quinze minutes. Oui The Seer contient toute la magie de Swans. Sans jamais être démonstratif, il fait preuve d’une intriguante complexité et chaque morceau amène ses propres questions et son propre univers. Car, non seulement les morceaux se répondent entre eux, mais en même temps ils ont chacun leur vie propre faisant de ce double album une épopée dans les terres les plus sombres du psychédélisme.
On a souvent dit de My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky qu’il était un album tellurique (disons que je l’ai beaucoup lu et beaucoup dit). Mais en réalité, la force dont il faisait preuve ne lui était pas intrinsèque. C’est Swans qui est naturellement tellurique, et My Father Will Guide Me up a Rope to the Sky est un album qui ne l’est pas plus que les autres ; The Seer faisant d’ailleurs également preuve de certains passages d’une aridité glaçante.
Mais tout cela découle selon moi de la simple analyse musicale, car si The Seer représente bien une apogée et que celle-ci est bien à mettre en lien avec la notion d’équilibre, le vrai cœur de cette nouvelle étape se trouve dans la balance entre le spectre du père et celui de la mère. Il ne s’agit pas d’avoir une lecture premier degré du disque et de justifier la présence de la mère au travers du retour de Jarboe, du fantastique titre avec Karen O ou encore de la présence de Mimi Parker. Car évidemment lorsqu’on parle de « la mère » dans Swans, il ne s’agit évidemment pas d’invoquer une simple présence féminine. Non, on parle évidemment de la mère qui sommeille dans Michael Gira : « Mother come, kill time as it begins ». Et c’est à ce niveau là qu’on découvre en quoi il est un aboutissement. Oui, la mère est là et The Seer est une danse parfaite entre les ténèbres et la lumière. Y voir un album sombre, c’est passer complètement à côté de l’optimisme et de la pureté qui se dégage de l’ensemble, c’est ne pas comprendre que la coquille de Michael Gira s’est enfin brisée.
La place de l’enfant s’en voit complètement changée, comme sur Daughter brings the water et son « In the screen / but not seen / her hand describes the father ». C’est maintenant l’enfant qui définit le père et non l’inverse ! Les enfants et les parents entrent en communion pour former un grand tout (Avatar). Et The Seer devient un tourbillon d’imbrications et de personnalités. Michael Gira croit toujours en la nécessité de pousser les enfants à développer leur propre personnalité, c’est juste qu’aujourd’hui il laisse les choses se faire sans les brusquer.
Mon vrai père (je veux dire pas Michael Gira) a toujours eu le sang chaud. Lorsqu’il devait exprimer quelque-chose, il y allait en se fichant bien des conséquences. Mais depuis quelques temps (il vient d’avoir 65 ans), je le sens à la recherche d’autre chose. Il ne cherche plus à imposer ses points de vue, comme s’il n’avait plus le temps de perdre du temps avec ces conneries. Il s’énerve moins et préfère profiter des années qui restent. Sa personnalité est restée intacte et je crois qu’il n’a fait aucune concession sur les valeurs auxquelles il croit, c’est juste qu’il laisse un peu plus le monde extérieur le pénétrer. Je ne peux alors m’empêcher de faire une analogie avec Michael Gira : comme les meilleurs pères, celui-ci en vieillissant fait un peu plus confiance à ses fils.