Bob Dylan #5 : If You See Her, Say Hello
C’est la constante de Dylan. C’est ce qu’on retrouve dans la plupart de ses chansons. Dylan s’étouffe entre le sentimentalisme et la noble retenue. Trop fier pour pleurer, trop amoureux pour le ressentiment. Il en arrive toujours à un constat un peu amer, mais tellement beau. Dylan n’avoue jamais rien frontalement, il a tendance à s’échapper quand il le peut. Il vous dirait que Blood on the Tracks n’est pas inspiré de sa vie mais de Tchekov et de ses nouvelles. Il vous dirait que tout ça n’a rien à voir avec sa vraie vie, sa femme Sara ou son fils Jakob.
Jakob, qui le dit clairement. Blood on the Tracks, ce sont ses parents qui discutent. En fait, Bob Dylan ne vous dirait rien, par fierté ou timidité.
And I’ve never gotten used to it, I’ve just learned to turn it off
Il n’a jamais vraiment expliqué ses chansons, comme pour les laisser murir dans les esprits. Chacun y voit ce qu’il a envie d’y voir, de Joan Baez à Edie Sedgwick, de Sara Lownds à Suze Rotolo. Et surtout, chacun s’y voit. Chacun ressent l’universalité du discours, chacun se projette comme un Dylan contemplant ses nombreux échecs amoureux, se forçant à oublier et à écraser la rancune. Dylan remplace toujours la haine par le même discours. Il confie la bien-aimée aux suivants. Il les invite à en prendre soin, leur donne des clefs d’un regard bienveillant, conscient qu’il a échoué. Non, ce n’est pas de la grandeur d’âme, c’est de la résignation. Il voit tout ça comme un simple coup du destin, une perturbation dans sa ligne de vie. Malgré ce fatalisme, les sentiments restent.
And to think of how she left that night, it still brings me a chill
And though our separation, it pierced me to the heart
She still lives inside of me, we’ve never been apart.
Bob Dylan a peur de l’oubli. Il veut se rappeler de ses aventures ratées. Il veut les vivre encore, à distance, par procuration. Alors il en fait des chansons. “Girl From the North Country“, “She’s Your Lover Now” ou “Ballad in Plain D” sont les mêmes chansons, séparées seulement par quelques années, quelques aventures et quelques échecs. C’est la constante de Dylan, l’amour perdu mais jamais oublié. Il en fait des souvenirs au goût amer, mais confortables et nécessaires. Dylan y revient toujours. Et quand son mariage avec Sara, celle qui l’abritait des tempêtes, celle aux yeux tristes, implose lentement, il recommence. “If You See Her, Say Hello”, comme le résumé d’une trajectoire où les défaites deviennent toujours de beaux souvenirs.
Sundown, yellow moon, I replay the past
I know every scene by heart, they all went by so fast
If she’s passin’ back this way, I’m not that hard to find
Tell her she can look me up if she’s got the time.
>> En écoute, la version de Blood on the Tracks, ainsi qu’une version des Bootlegs Series 1-3, qui vient des sessions de l’album.
>> Les précédents épisodes des dimanches Bob Dylan ici.
- Bob Dylan #1 : I Have a Dream par Nathan Fournier
- Bob Dylan #2 : Mama You Been On My Mind par Nathan Fournier
- Bob Dylan #3 : Just Like a Woman par Nathan Fournier
- Bob Dylan #4 : She's Your Lover Now par Nathan Fournier
- Bob Dylan #5 : If You See Her, Say Hello par Nathan Fournier
- Bob Dylan #6 : Au Zénith Arena par Nathan Fournier
- Bob Dylan #7 : Bob Dylan et l'humour - "It Takes a Lot to Laugh, It Takes a Train to Cry" par Nathan Fournier