LA THÉORIE DE L’INFORMATION d’Aurélien Bellanger
« A 32 ans, Aurélien Bellanger signe le roman choc de la rentrée littéraire. Coup d’essai, coup de maître.»
« Aurélien Bellanger livre la biographie romancée de Xavier Niel. »
« Aurélien Bellanger, digne fils spirituel de Michel Houellebecq. »
« Aurélien Bellanger livre une oeuvre balzacienne post-moderne. »
… Evacuons d’emblée ce qui a déjà été écrit ou sera bientôt écrit de trop nombreuses fois. Allons à l’essentiel : La théorie de l’information décrit avec une insensée exactitude l’histoire de quarante années d’ «informatique» à travers le parcours, insensé lui aussi, de Pascal Ertanger, un petit malin au cheveu gras devenu gourou posthumain au cheveu gras, la tête dans les bits et les mains dans sa box.
Pascal Ertanger pourrait ou ne pourrait pas être Xavier Niel. Ça n’a aucune importance. Le héros – qui ici n’en est pas un – constitue un épatant alibi. L’important, c’est la précision encyclopédique dont fait preuve Aurélien Bellanger lorsqu’il entreprend de reconstruire la myriade de liens de causes à effets qui ont mené l’homme du 3615 TURLU à la possibilité d’une aube posthumaine (personnellement je ne sais pas si une «aube posthumaine» est envisageable, mais considérons que c’est jouable, sinon on ne va pas s’en sortir).
Tout commence à Velizy-Villacoublay.
Le grand roman des années numériques peut-il commencer à Velizy-Villacoublay ? La question mérite d’être posée. Mais y répondre serait occulter la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
Le génie a-t-il le cheveu gras ?
Si l’on répond par l’affirmative, alors Pascal Ertanger est un génie, puisqu’il a le cheveu gras, et La théorie de l’information conte l’ascension fulgurante d’un génie accédant au statut enviable de semi-déité.
Si l’on répond par la négative, alors Pascal Ertanger n’est pas un génie – puisqu’il a le cheveu gras – mais un astucieux médiocre doté d’un solide opportunisme et La théorie de l’information conte l’ascension fulgurante d’un humain ordinaire posé dans une époque extraordinaire.
Mais s’y arrêter serait occulter la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
A quoi ressemblerait Steve Jobs s’il était un personnage écrit par Michel Houellebecq ?
Aurélien Bellanger nous en donne un bel aperçu. S’il avait été un personnage écrit par Michel Houellebecq, Steve Jobs serait né à Vélizy-Villacoublay, serait doté de cheveux discutables et d’une grande gaucherie à l’égard de tout ce qui ressemble à un être humain en général et à une femme en particulier. Steve Jobs se serait nommé Pascal Ertanger et n’aurait dépassé que d’un cheveu la médiocrité ordinaire du personnage Houellebecquien type. Cerné par les poussiéreuses coques marron beige de terminaux télématiques conçus par des ingénieurs télécom dont la suffisance le dispute à l’absence totale de fantaisie, Steve Jobs aurait été le héros de La théorie de l’information : français, pavillonnaire, ingrat, il se serait caressé le zizi devant les premières messageries roses acheminées par réseau Transpac. Puis il aurait fait fortune et serait devenu un héros, incarnant l’impensable revanche de l’anti-héros Houellebecquien. Enfin, il aurait probablement tenté quelques keynotes couronnées d’un succès relatif, d’une forte couverture presse et d’auréoles sous les bras.
Houellebecq est romantique, Bellanger est pragmatique. Lorsque le premier souffre en rêvant d’une présence humaine, le Pascal Ertanger du second envisage le monde comme un système paramétrable. Tout est équations. Tout est optimisable. Tout est rationnel. Tout est rassurant. Pascal Ertranger calcule, analyse, optimise et « réussit ».Un personnage de Houellebecq qui réussit n’envisage plus la condition humaine, mais la condition de l’espèce humaine. Une toute autre ambition, qui, si elle procure à l’occasion d’agréables vertiges métaphysiques, nuit à l’essence même du roman de Bellanger : procurer une « émotion ». Mais s’arrêter à notre émotion de lecteur serait occulter la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
La médiocrité a-t-elle une âme ?
Bellanger décrit avec brio la France des années télématiques. Celle des hauts fonctionnaires défendant à coups de rapports vengeurs la primauté du Minitel sur « Internet ». Une certaine idée du «génie français», improbable mélange de prescience et d’arrogance mal avisée, qui prête encore à pouffer de nos jours. Le «génie français», ou le faux-ami de Pascal Ertanger, visionnaire sans esthétique. Le héros de Bellanger ne créé pas, il réagit. Surtout, il siphonne : les abonnés d’un serveur rose concurrent, l’annuaire France Telecom, les infrastructures en place, et bien d’autres choses encore mais ne spoilons pas… C’est astucieux, c’est audacieux. C’est médiocre. Xavier Niel, le Pascal Ertanger du réel, a parfois été vanté comme un « business punk », sorte d’homme d’affaires disruptif et libertaire. Aurelien Bellanger a le mérite de désepinaliser l’image : son Xavier Niel fictif est un flibustier. Opportuniste, ambitieux, guidé par la perspective de gains faciles, naviguant à vue entre pouvoirs et illégalité, sacrifiant le beau pour embrasser le lucide (le porn, en l’occurrence, formidable moteur de développement des nouvelles technologies carburant aux bas instincts…). Le héros de La théorie de l’information est-il doté d’une âme ? Si c’est le cas, Bellanger s’applique à la gommer pour en faire un rêve d’économiste : un être à la rationalité optimale mais limitée servant un système qui tend vers une abstraite perfection. Personnellement, j’ai un iPhone mais s’y arrêter serait occulter la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
Suffit-il de compiler les pages Wikipédia pour construire une histoire ?
C’est une bonne question mais un mauvais procès. Certes, Bellanger empile les savoirs. Le bénéfice : suspendre à chaque page l’incrédulité du lecteur. Le risque : faire de son roman une page Wikipédia géante. Chez Bellanger, la linéarité absolue de la narration comme l’austérité clinique du style – wikipediesque, si l’on veut – servent le propos : peindre un monde toujours plus binaire. Des zéros et des uns. Un bouillonnant maelström de découvertes théoriques et d’avancées technologiques nous fait basculer du quasi obscurantisme télématique à la pureté des data centers actuels, mines de données réfrigérées. Chez Aurélien Bellanger, le souffle épique ne balaie pas, il anesthésie page après page, et le lecteur ne doit son salut qu’à sa capacité d’incompréhension de notions dont il ne maîtrise pas la portée. Une pédagogie en creux. Une « wikirature ». Si l’on accepte la démarche en tant que procédé littéraire, c’est une réussite. Bellanger travaille sa matière en mixant réalités historiques et péripéties romancées. Les personnage publics sont réels, le héros est fictif. On renonce rapidement à démêler le vrai du faux pour se laisser bercer par l’implacable enchaînement de causalités. C’est souvent passionnant. Parfois brillant. Mais l’histoire n’est ici que prétexte à ce qui constitue une excellente rétrospective doublée d’un embarrassant roman dont le personnage central inspire au mieux une sourde indifférence. Bret Easton Ellis déshumanisait à dessein son Patrick Bateman. Bellanger aseptise bien involontairement son personnage. Trop humain pour effrayer, pas assez pour fasciner. Lorsqu’il est question de l’avenir de l’homme en tant qu’espèce, le destin d’un natif de Velizy -Vilacoublay a tendance à passer au second plan. C’est humain. Justement. Mais ce serait occulter la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
Peut-on ne rire de rien ?
Oui, mais pas avec personne. C’est probablement la raison pour laquelle Aurelien Bellanger, dans un éclair de lucidité bienvenu pour son éditeur, a choisi d’écrire un premier roman événement à fort potentiel de retentissement plutôt qu’un simple essai de vulgarisation scientifique à fort potentiel pédagogique. Car si l’on peut reconnaître une vertu à La Théorie de l’information, c’est l’austérité. Toute fantaisie en est absente, comme gommée par un auteur trop timoré pour s’autoriser la légereté. On se surprend à envisager un Bellanger doté de dérision. On imagine qu’il pourrait alors livrer un immense roman. Ce qui nous amène à la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
Un premier roman peut-il être un immense roman ?
Oui. Non. Parfois. Mais pas là. Appliqué, parfois virtuose, à l’occasion vertigineux, porté par son sujet et dépassé par ses ambitions, La théorie de l’Information est un grand premier roman. Probable. De ceux qui alimenteront les dîners en villes. Certainement. On salue la besogneuse exigence. On lui devine des prix littéraires à venir. Mais s’y limiter serait occulter la fondamentale interrogation que porte Aurélien Bellanger :
Et si rien n’existait ?
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