C’est en écoutant des disques comme « 33 Tours » que je réalise combien j’ai changé musicalement parlant depuis ces 5 dernières années. Lorsque j’avais 22 ans, je ne recherchais que des disques parfaits, des disques intouchables auxquels on ne pourrait rien reprocher ni au niveau technique, ni au niveau émotionnel, ni au niveau artistique. La démarche pouvait paraître louable mais elle traduisait au fond une certaine peur du regard des autres. Qu’allait-on penser si je dévoilais ma passion pour un disque qui ne correspondait pas aux critères de l’intelligentsia du petit monde de la musique ? Bref à 22 ans, je trimballais encore des préoccupations adolescentes ridicules et méprisables. Heureusement, tout ça est finit et mon seul critère aujourd’hui pour juger un disque est le plaisir que je prends à l’écouter. Oui, j’ai changé et je peux clamer haut et fort mon amour pour Alex Beaupain, sans craindre les réactions des aveugles qui croient y voir un fanfaron affilié à Vincent Delerm et consort.
Bien sûr, comme pour beaucoup, mon enthousiasme pour Alex Beaupain découle avant tout d’un engouement pour le trio infernal Honoré/Garrel/Beaupain et son chef d’œuvre « Les Chansons d’Amour ». Ensuite, j’ai découvert Beaupain sur scène, j’ai appris à connaître son univers, ses subtilités et la légère auto-dérision qu’il place dans ses chansons bien conscient de la tristesse mais aussi du romantisme de sa situation. Je n’aime pas parler de la vie des artistes dans mes chroniques, mais pour vraiment s’accaparer la puissance émotionnelle de ses textes, il faut au moins esquisser de loin son histoire et savoir qu’il a perdu sa fiancée de manière brutale. Presque un tiers des chansons qu’il compose sont liés à cet événement d’où cette place si importante de la thématique amour/mort.
Avec « 33 Tours », Alex Beaupain devait confirmer. « Garçon d’honneur » était un coup d’essai transformé par « Les Chansons d’Amour » mais maintenant il fallait prouver qu’il était plus qu’un simple songwritter dont la tristesse aurait transcendé les chansons, prouver qu’il pouvait sortir de son carcan.
Clairement, les mauvaises langues pourraient affirmer de suite que Beaupain n’a pas réussi son pari tant une chanson comme « Comme la pluie » avec Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme et Chiara Mastroianni semble, dans sa façon d’alterner les voix, être un simple copier/coller de « La Bastille ». Oui c’est vrai Alex Beaupain joue sur certains gimmicks mais quel grand groupe ne le fait pas ? Et « Comme la pluie » a tout ce qu’il faut pour être la chanson triste de votre automne.
« 33 Tours » est un vrai album avec 12 titres forts qui se succèdent, qui se complètent. Les singles (« I want to go home » et « 33 tours ») sont entraînants, et on sent bien les arrangements de Frederic Lo (l’homme derrière le retour de Daniel Darc). Les mélodies sont fortes, d’obédience pop (« Novembre ») mais savent privilégier l’apparat le plus simple : piano ou guitare / batterie. Pas mal des titres ont déjà été joués sur scène mais cela fait plaisir de les retrouver dans des versions plus orchestrées (« Paris, Tokyo, Berlin »).
Au niveau texte, Alex Beaupain rivalise aisément avec le haut du panier que ce soit Bashung voir Gainsbourg (« Juste ces mots »). Il écrase littéralement les dernières productions de Miossec et rappelle Jean François Coen sur le joyeux « Je veux ». Le sexe, l’amour, la mélancolie et la mort se croisent au sein de phrases à la fois tragiques et en même temps emplies de légèreté. « A la mer » est pleine de vérités, tandis que « Pas grand-chose » est symptomatique de l’univers de Beaupain. Dans cette dernière chanson, sorte de lettre à l’être aimé décédé, Beaupain fait un constat amer sur la banalité du quotidien et de l’évolution du monde, tu ne loupes pas grand chose, avec comme je le disais un léger sens de l’autodérision, tu ne rates rien d’essentiel, j’écris toujours des chansons sur le ciel (rapport au terme qui revient régulièrement dans les « Chansons d’Amour »).
Il y a un paquet de mots tirés de cet album que je voudrais bien mettre en italique ici pour illustrer mon propos, mais je ne souhaite définitivement pas les sortir de leur contexte.
Enfin voilà, vous l’aurez compris, avec Bashung, Alex Beaupain sera pour moi en 2008 l’autre grand nom de la chanson française. « 33 Tours » laissera indifférent beaucoup de gens mais prendra aux trippes ceux qui abaisseront leur garde et se laisseront toucher.
Note : 8,5/10