Une fois n’est pas coutume, je ne sais pas si j’arriverais à être totalement objectif lors de cette chronique. Il faut dire que j’ai toujours mis beaucoup d’espoir en Bryan Singer et que je me le suis toujours imaginé comme quelqu’un qui pourrait devenir, dans les prochaines années, l’un des plus grands réalisateurs contemporains au côté par exemple d’un David Fincher.
Du parfait « Usual Suspect » (l’année dernière, lors de mon dix-septième visionnage, le film n’avait toujours rien perdu de son alchimie), aux meilleurs films de super-héros (les 2 « X-men », juste derrière les Batman) en passant par deux films d’auteurs « Public Access » et « Apt Pupil », Bryan Singer a, outre l’échec « Superman », construit une filmographie passionnante, techniquement très haut de gamme et fondée sur 3 thèmes récurrents : la fascination du mal, le nazisme et la collaboration entre les hommes (qui n’inclue pas forcément la notion d’amitié). De ce fait « Walkyrie » devait synthétiser ces trois thèmes et s’imposer comme un point d’orgue à la jeune filmographie du réalisateur américain.
Pourtant à la vision des bandes annonces et la lecture de certaines premières critiques, en particulier celle de Rob Gordon (à qui je fais toujours plus confiance qu’un Première ou un Studio), le doute s’était installé. Et si Bryan Singer s’était laissé bouffer par un Tom Cruise très (trop) impliqué dans le projet ?
La première chose que l’on peut dire, c’est que le film est effectivement très loin d’être le chef d’œuvre attendu et que Rob Gordon a même fort raison sur la majorité des points qu’il soulève. Néanmoins, « Walkyrie » n’est pas non plus la déception attendue et possède même un certain charme si l’on sait le prendre sous le bon angle.
Si l’on s’en tient à une lecture purement visuelle du film, il faut bien avouer qu’on ne cerne pas du tout ou Singer veut en venir. Tout d’abord la réalisation est étonnement plate, peu démonstrative, voir baclée, ce qui laisse totalement perplexe venant d’un type étant à l’origine des magnifiques mouvement de caméra et des déplacements de Diablo dans « X-men 2 ». Que s’est-il passé ? Singer est-il devenu paresseux ? N’était-il pas accompagné cette fois de son équipe habituelle ? Ainsi on s’étonne de certains plans particulièrement cliché : Bill Nighy contemplant l’arrivée des militaires à travers sa fenêtre avant son arrestation (un plan déjà utilisé un million de fois), le côté hollywoodien du levé de tickets pour bien montrer l’attachement des gens à Stauffenberg, et puis un paquet de scènes réalisées tellement sans brio qu’on en finit par se demander si on ne les a pas déjà vues dans un autre film de guerre. On en arrive à regretter la simplicité de l’histoire, on aurait voulu y voir plus de complexité, on s’étonne de ne pas trouver parmi les dissidents des ex-nazis qui auraient commis des atrocités, on peste sur le manque d’interaction entre les personnages, on trouve presque le tout gentillet tant les nazis ici n’ont pas l’air d’autre chose qu’un gouvernement X ou Y à renverser. Même Hitler n’est pas du tout magnifié en grande puissance du mal. A côté de Kaiser Soze, il passerait presque ici pour un citoyen modèle. Bref comme je le disais, on se demande vraiment où Singer veut en venir. Aurait-il raté son film ?
En fait, pour apprécier « Walkyrie », il faut justement oublier qu’il s’agit d’un Bryan Singer, ne pas s’attendre à quoi que ce soit, ne pas chercher le malsain ou le border line. Non « Walkyrie » est un film méthodique qui tient plus du documentaire ou du téléfilm allemand que du blockbuster américain. Singer traite son sujet avec rigueur en limitant au maximum implication dans l’histoire et mise en scène tape à l’œil, et cela afin de ne pas dénaturer le projet de base : faire découvrir un chapitre de l’Histoire inconnue. Et comme il s’agit d’Histoire avec un grand H, il ne s’agit pas du tout de mettre du lyrisme ou de la psychologie là où il est question de vérité. (Ok, certains vont dire que je lui cherche des excuses, là, mais comme je l’ai dit au début, je n’ai pas prétendu que je serais objectif). Christopher McQuarrie (déjà scénariste de “Usual Suspect” ne semble pas non plus pas décidé à faire la moindre aparté). Ainsi très vite la sobriété du film rappelle plus « La Chute » de Oliver Hirschbiegel ou « Black Book » de Paul Verhoeven. On est presque étonné que le film ne soit pas tourné en allemand. Car dans « Walkyrie » vous ne trouverez ni actions spectaculaires, ni punch lines à l’américaine, pas la moindre trace d’humour dans les dialogues (qui ne portent d’ailleurs jamais sur des choses personnelles), peu/pas d’effet de caméras. Non juste un film droit porté par des atouts différents : une reconstitution historique exacte qui ne cherche jamais à en faire plus que la réalité, et une direction d’acteur exemplaire où Tom Cruise illumine chaque scène par sa tenue, par sa démarche, par autant d’éléments qui laisse supposer que Stauffenberg aurait eu la carrure pour devenir un vrai leader pour le peuple allemand (même si une fois de plus il est dommage que le film n’approfondisse pas les points communs qu’il aurait pu avoir avec Hitler). Quand à
Terrence Stamp et Kenneth Branagh, ils ont aussi discrets qu’impeccables.
Après en terme de réalisation, on se contentera donc des jolis silences, de cette mise en scène qui évite les dialogues lorsque notamment le film aborde le lien qui unie Stauffenberg et sa femme (un court flash mémoriel où la femme se rappelle les bras de son mari l’enroulant et la protégeant) et surtout de ces regards entre les hommes qui indiquent soit le respect, soit le mépris ou alors qui font fie d’acceptation de prendre part au coup d’état. Non à part quelques scènes, il n’y aura pas de quoi impressionner la rétine. Pourtant quand Singer s’en donne la peine, il est toujours capable de très jolis plans. On peut noter : la scène de la piscine avec la croix nazie incrustée sous l’eau, l’insecte brûlé par une clope, et surtout la majorité des scènes qui mettent en lumière le handicap de Stauffenberg, qu’il s’agisse d’un oeil ou d’un plan sur ses moignons. On vibre ainsi devant ce salut hitlérien où le bras amputé de Tom Cruise se dresse avec provocation ou devant la scène du miroir où l’homme contemple les deux nouvelles faces de son visage.
Au final, on s’en tire avec un film étrange, qui est à des années lumières de ce que l’on pouvait attendre : un film un peu râté, un film un peu plat mais un film beaucoup plus dérangeant et fort qu’il n’y parait, un film qui ne traite pas du mal mais de combien l’Histoire ne tient qu’à un fil.
Note : 7/10