Salué par toute la critique comme l’oeuvre testament de Clint Eastwood, Gran Torino n’en est pas moins un film qui suscite le débat, car effectivement il y a deux façon de ressentir l’oeuvre de celui que les amateurs de formules chocs appellent le dernier des géants.
D’un côté, Gran Torino est une synthèse parfaite et exhaustive du cinéma de Clint Eastwood, et à donc de par sa nature même, un côté particulièrement émouvant. Car les intentions de Clint sont claires. A 78 ans, il sait qu’il ne sera plus éternel et que l’heure est plus aux bilans qu’aux projets. Comme sa vieille Gran Torino, devenue un mythe convoitée en décalage avec son époque, Walt, que durant le reste de la critique on pourra nommer Clint, est un « old man » aigri, raciste, peu sympathique, une sorte de cowboy des temps modernes, un inspecteur Harry à la retraite depuis quelques années. Abandonné par ses enfants qui le placerait bien en maison de repos, méprisant ses petits enfants, Clint va être amené à se lier d’amitié avec ses voisins, des asiatiques qu’il déteste. Effectivement un gang tournant un peu trop près de ces derniers, Clint ne pourra s’empêcher de ressortir son fusil et de faire justice comme il le peut. Au passage il se liera évidemment d’amitié avec Taoh, le fils de la famille asiatique, que l’absence de figure paternelle empêche de se développer. Tous les thèmes sont donc réunis et le film comte l’histoire américaine via un parallélisme entre les premiers américains venus des quatre coins de l’Europe (Clint et ses potes ; Polack et Irlandais…) et les nouveaux arrivants venus d’Asie qui au final possèdent le même soucis d’intégration. Au milieu de tout ça, il y a la vengeance, l’amitié, la vieillesse et l’humour. Clint joue tellement avec son image, avec ses expressions, qu’il est toujours entre le culte, le clin d’oeil et l’auto-parodie. Ne mégotant pas sur la vulgarité, il transcende la punch-line à l’américaine, en réalisant des dialogues dans une ambiance vannes inter-raciales proche de South Park. Mais surtout, il y a cette conclusion finale des plus intéressantes, la plus belle confession que Clint pouvait faire à son public, une sorte de « j’ai passé mes films à tuer et à me venger, mais aujourd’hui je pars en paix, j’ai trouvé une autre voix et je suis en accord avec moi même ». Pris ainsi « Gran Tornino » est un film magnifique, plein de sens et d’émotion.
Cependant de l’autre côté, « Gran Torino » n’est pas tellement différent de « L’échange » son précédent film. Il y a un côté beaucoup trop cliché et déjà vu là dedans. Au banc des accusés, trois éléments : le coup du « Finalement je réalise que je me sens plus proche de mes voisins asiatiques que de mes propres petits enfants, parce qu’on partage les mêmes valeurs. C’est vrai, le petit Taoh, il aide les personnes âgés à porter leur sac, et ça c’est des valeurs que je partage » ; le côté « J’ai fait la guerre de Corée, j’ai tué une bonne dizaine de faces de citron, d’ailleurs je les déteste toujours, mais il suffit qu’on me propose de venir boire une bière pour que j’oublie tout et que je réalise qu’en fait je suis un mec à la cool» ; et enfin le « Je suis raciste mais c’est plus pour faire des blagues avec mes potes au bar, car en fait le melting pot ça a du bon ». Vous voyez où je veux en venir ? Oui tout ça finit par déboucher sur un film qui finalement ne bouscule pas grand chose en terme d’idées et qui amène inévitablement au thème central du film : l’initiation à la vie de Thao par Clint. Suis-je le seul à avoir trouvé cela vraiment trop à l’américaine en mode Will Hunting Movie?
Voilà « Gran Torino » est donc un film passionnant réintégré dans l’ensemble de la filmographie de Clint Eastwood, mais un film finalement assez banal si on le traite en stand alone, un film où les relations humaines m’ont semblé fausses et dénuées de sentiments.
Note : 6/10
(Rob Gordon fait encore plus son difficile ici, mais dit beaucoup de choses vraies, son analyse de la mise en valeur de Clint étant des plus justes)