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ETREINTES BRISEES de Pedro Almodovar

Par Benjamin Fogel, le 02-06-2009
Cinéma et Séries
Ce qui est beau avec des réalisateurs comme Pedro Almodavar, c’est qu’ils ont déjà prouvé ce qu’ils avaient a prouver, et peuvent désormais refaire à foison les mêmes films avec les mêmes thématiques, en modifiant juste l’angle, le point de vue ou le contexte. « Etreintes Brisées » est une fraction supplémentaire de l’essence d’Almodovar. On y retrouve ses thèmes phares, de l’homosexualité aux égéries féminines avec un soupçon de drogue et de sensualité, et on se laisse accaparer par ces images, ces ambiances dans lesquelles on s’immisce avec habitude et sécurité, ces plans et ces gammes colorimétriques qui ont déjà bercés de longues errances cinématographiques. Parfois très coloré, parfois sombre avec une touche de rouge comme lors de ces plans où Mateo Blanco (sic) conduit sa voiture dans l’obscurité.

La grande force de ce nouveau long réside dans la maîtrise scénaristique : le découpage de l’histoire, l’alternance des scènes aux temporalités différentes…. quelques soient le peu d’affinité que l’on a avec le réalisateur espagnol et ses fresques qui hésitent toujours entre sentimentalité à l’eau de rose et réflexions psychologiques plus poussées, son sens de la mise en scène et la forte personnalité de son univers ne sont plus à remettre en cause. Comme à mon habitude, je n’ai rien lu sur « Etreintes Brisées » et ma chronique arrive bien trop tard par rapport à la sortie du film (une dizaine de jour après sa sortie soit une éternité dans le monde de la critique cinématographique), de ce fait j’orienterais ma critique sur le ressenti très personnel de la représentation, l’une des thématiques philosophiques qui a le plus évolué au 20ème siècle avec l’avènement de la photo et du cinéma. Comme la thématique du mal avec la Shoah, la représentation gagne en profondeur d’analyse de par les nouveaux modes d’expression dans lesquelles elle se manifeste. « Eteintes Brisées » s’ouvre sur une scène d’amour entre Mateo et une jeune inconnue, l’objectif de cette introduction est d’exposer que la cécité de Mateo ne sera pas sujette au pathos et encore moins traitée comme un handicap, non elle servira d’axe de réflexion sur la représentation du monde par l’artiste aveugle.
Ainsi tout le film semble se focaliser sur les différentes approches de la représentation à partir de nombreuses scènes clefs :

La représentation à travers la photographie : Au début de son histoire Lena (Penélope Cruz) est une femme plutôt banale qui inspire presque la pitié : elle est une secrétaire lambda, s’occupe de son père malade et ne trouve comme seule issue à sa situation de devenir la maîtresse de son patron. Elle n’a rien d’une égérie et sa présence à l’écran ne crève pas les yeux. Puis Il y a cette splendide scène où après avoir passé le casting, Mateo fait des essais sur elle avec plusieurs perruques et immortalise ses transformations physiques sur pellicule. A partir de là, la représentation que le monde a de Lena est transcendée : elle devient une star, sûre d’elle, capricieuse, magnifique, hypnotisant les regards et les sens de Mateo et Hernesto : les photos la représentent en femme fatale et elle devient ce que les photos renvoient d’elle.

La représentation à travers la caméra : film dans le film, mise en abyme, documentaire parallèle… « Etreintes brisée » joue à fond la carte des multiples types de représentations qu’offrent le cinéma. La plus belle scène du film se déploie évidemment lorsque Lena quitte Hernesto à la fois sur l’écran et dans la réalité dans un parallélisme troublant où la représentation du personnage se retrouve à égalité avec le personnage. C’est beau, magnifiquement filmé, et on ne peut plus troublant. Mais avant cette scène clef, on savoure aussi la représentation qu’Hernesto se fait de son amour via les images tournées par son fils et complétées par des dialogues inventés (représentés ?) par une femme qui lit sur les lèvres. Le spectre déforme la vérité tout en restituant une image pas si éloignée de la réalité, comme si Almodovar voulait prouver qu’au delà de la mise en place des filtres, la représentation ne pervertissait pas tant que ça la vérité et donc son cinéma.

La représentation du jeune Almodovar par un Almodovar ayant gagné en maturité : En immisçant au sein de « Etreintes Brisées » un autre film, « Filles et Valises » (remake de “Femmes au bord de la crise de nerfs”) qui se veut une parodie volontaire du cinéma des débuts de Almodovar, ce dernier met en exergue l’évolution de la représentation de son travail avec nostalgie mais tout en appuyant bien le fait que ses premiers films comporte des erreurs de jeunesses, et que certains passages mériteraient de repasser au montage. Cependant malgré cet aspect « auto-critique pleine de tendresse », Almodovar, dont Mateo est clairement l’incarnation, ne se représente pas comme un artiste mais plus comme un réalisateur/scénariste de films de série B. Là aussi le film se veut comme une interprétation qu’Almodovar pourrait faire de lui même à travers la représentation de son film.

La représentation de l’art de l’amour à travers la cécité : qu’il s’agisse de remonter son film juste via une analyse stricte de la bande son ou de cette autre scène touchante où Mateo effleure des doigts les images des derniers instants de la vie de son grand amour, Almodovar joue avec les perceptions et la manière dont le monde peut se concevoir à travers de multiples prismes.

De par la richesse et la multiplicité des angles de vue qui ne nuisent jamais à la cohérence de son scénario, Almodovar a réalisé un objet qui mériterait des analyses littéraires plus poussées. On lui reprochera peut être d’éluder certaines relations entre les personnage (notamment entre Diego et Mateo qui s’avère être son père), et quelques passages dans lesquelles certains cyniques (sic) trouveront un soupçon de niaiserie Almodovarienne. Mais dans ses grandes lignes, « Etreintes brisées » s’affirme comme une oeuvre passionnante aux multiples niveaux de lecture : drôle et triste, tout en imposant des vrais présences, le réalisateur espagnol a fait un film à la hauteur de ses ambitions : un film qui n’est pas une représentation mais une réalité en soi.

Note : 8,5/10