Quoi qu’en pensent ses détracteurs, quoi qu’en retienne l’histoire, on ne pourra jamais enlever à Muse d’avoir sorti un album « générationnel ». Présenté à l’époque, et ce à juste titre, comme un croisement entre Radiohead et Jeff Buckley, « Showbiz » fut un album important pour plein de gens. Selon les générations, il symbolisa : la découverte du rock’n’roll, le passage de l’adolescence à l’âge adulte ou encore l’espérance d’assister à la naissance d’un groupe unique. Je me souviens parfaitement de l’achat du disque chez Gibert le jour de la sortie. Je me souviens parfaitement de la candeur qui s’empara de moi, lorsque la chaleur de « Sunburn » s’échappa pour la première fois de mes enceintes. Je me souviens parfaitement de ce premier concert en première partie de Foo Fighters et des Red Hot Chilli Peppers. Je me souviens de tout. Par la suite Muse m’a d’abord conforté dans ma position. « Origin of Symmetry » était l’expression d’un groupe émouvant qui ne s’était pas laisser corrompre par ce sentiment si commun, par la fameuse désapprobation de l’électricité. Ce n’est que par la suite que le groupe s’est fait happer par les méandres de la grandiloquence, et que l’admiration a laissé place à l’indifférence. Mais quoiqu’on en dise aujourd’hui, gardons à l’esprit le mythe fondateur que représente encore « Showbiz ». D’ailleurs, je vous conseille à ce sujet de lire la passionnante analyse de Thomas sur le Golb.
Depuis le tragique « Black Holes and Revelations », toute ma foi en Muse s’est évaporée. L’incapacité du groupe à comprendre la notion de justesse et sa perpétuelle inaptitude à mûrir auront eu raison de mes souvenirs. Néanmoins, malgré le succès, les anglais sont restés une entité soudée qui n’a pas laissé la gloire compromettre son unicité. Aussi l’improbable étant toujours d’actualité, je me suis rué sur « The Resistance ». La probabilité était faible mais on ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir tenter le coup.
« Uprising » a donc la lourde tâche d’ouvrir ce cinquième opus, celui qui incarnera la rédemption ou l’apocalypse. Un clavier d’inspiration gothique, une rythmique à l’avenant, une voix modifiée, une guitare discrète mais efficace, cette ouverture rappelle étrangement une certaine époque de Marylin Manson. Pas tout à fait convaincant, « Uprising » arrive cependant à dompter l’aspect pompier du groupe. Avec son introduction où les choeurs soufflent avec discrétion un vent de noirceur « Resistance » s’impose de suite comme un titre contemporain à la structure progressive, où la lourdeur des guitare s’immisce au sein de couplets successivement catchy et dépressifs. Si la retenue est tout à fait exclue, le groupe a le mérite de se focaliser sur ce qu’il sait faire de mieux. Relativement ambitieuse, la chanson rassure sur la capacité de Muse à composer des morceaux emblématiques. « Undisclosed Desires » tisse sa toile sur des boucles rythmiques qui ne manquent pas de cachet. Réaffirmant ses accointances avec Depeche Mode, le groupe y dégage une froideur electro-metallique référencée et introspective.
Ainsi il faut attendre « United States Of Eurasia » pour assister à la déchéance du groupe. Singeant déjà avec une vulgarité inédite « Bohemian Rhapsody » de Queen, Muse ose y insérer des sonorités egypto-arabisantes qui trahissent une fois pour toute son goût pour l’abjecte juxtaposition de sonorités improbables, transformant ainsi le final au piano en vrai supplice. La production ampoulée de « Guiding Light » n’aide pas l’album à redémarrer. Bien au contraire, elle enfonce « The Resistance » dans des abymes qui poussent à l’asthénie. Pourquoi un groupe avec un tel talent s’obstine-t-il à tourner le dos à l’épuration musicale ? Pourquoi ne part-il pas en quête de plénitude ?
De même, l’affèterie plane sur les premières notes de « Unnatural Selection », mais rapidement la guitare rugit et Matthew Bellamy reprend le titre en main. Cependant le relent d’agressivité héroïque est rapidement anesthésié par un rendu si tristement pompeux. Une mélodie vintage soutenue par la basse toujours vrombissante de Christopher Wolstenholme, une batterie toujours en phase, « Mk Ultra » démarre en trombe. Égrainant ici ou là des riffs incandescents, chargés des vestiges de « Origin of Symmetry », le titre permet à Muse de dégager une émotion légèrement poussive mais relativement puissante. Admettons. Sans surprise, les ambiances cabarets de « I Belong To You (+Mon cœur s’ouvre à ta voix) » rebrise la dynamique et rabaisse à nouveau Muse à un pastiche de la Reine, en lui imposant des arrangements qui plastronnent sans légitimité.
L’album était attendu depuis longtemps et ces huit titres s’envolent comme une poussière d’étoile. Nul temps de s’y plonger que l’heure du moment tant redouté est arrivée. Dès que Muse a annoncé que « The Resistance » se clôturerait sur une symphonie, l’effet anxiogène fut immédiat. Sachant combien le manque de retenue peut diluer le talent de composition du groupe, le triptyque Exogenesis était craint comme l’épée de Damoclès, comme le dernier coup de poignard qui achèverait l’auditeur. Néanmoins dès « Exogenesis : Symphony Part I (Overture) », et ce malgré une introduction rappelant les bandes originales composées par John Williams, une sorte d’apaisement émane de la chanson. Bien que plus orchestrée, il ne s’agit pas de la monstrueuse pièce égocentrique que le groupe aurait pu nous réserver. Si le lyrisme du piano et des violons s’accorde atrocement mal avec la guitare, on reprochera plus à cet Overture son côté rock-progressif prétentieux dénué de sentiments que la mascarade post-classique attendue. « Exogenesis : Symphony Part II (Cross Pollination) » s’en sort encore mieux avec une folie des grandeurs mieux canalisée et donc plus crédible. Enfin « Exogenesis : Symphony Part III (Redemption) » s’offre même, avec un certain raffinement, des notes de piano légères, pour un titre qui s’inscrit au final dans la typologie des ballades caractéristiques du groupe anglais.
« The Resistance » se clôture et une mine affligée se dessine sur le visage de l’auditeur. L’heure des retrouvailles n’est pas pour aujourd’hui et on commence sincèrement à douter des dispositions du groupe à retrouver un songwriting touchant. Les années passent et les héros d’hier ne seront peut être jamais plus les héros de demain. Il faut alors considérer Muse pour ce qu’il est devenu : un contre-exemple accablant de ce que doit être en musique la « retenue » et la « justesse ».
Note : 3,5/10