[Attention spoilers] Au final, le cinéma n’est toujours qu’une question de limite qu’il ne faut pas franchir tout en essayant à chaque film de se rapprocher un peu plus prêt de la démarcation. La limite est une ligne qui sépare le génie du grotesque. Les plus grands réalisateurs, ceux qui recherchent l’excellence, connaissent bien la problématique. Il faut dire que la ligne est fourbe, et que virevoltante comme elle est, même les génies peuvent la franchir sans même s’en rendre compte. Alors que Tarantino a tout juste transgressé la limite qui sépare le « film ultra référencée mais à l’identité propre du pastiche de série b de mauvais goût » ; Christophe Honoré, un autre réalisateur que j’affectionne particulièrement, mord la ligne blanche qui délimite le vertige émotionnel de la rengaine larmoyante. Il mord sur la ligne, mais retirant son pied aussi tôt, se retrouve dans une situation intermédiaire qui prête au débat.
J’ai souvent dit qu’il n’y avait que deux attitudes possibles face aux films de Christophe Honoré : être touché et se laisser submerger ou ne rien ressentir et passer son chemin. Malheureusement, contrairement à « Les chansons d’amour », « Non ma fille, tu n’iras pas danser » ouvre une nouvelle voie, celle de l’interrogation et donc du positionnement.
Néanmoins, je reste surpris de constater que certains considèrent encore Christophe Honoré comme un metteur en scène caractéristique des travers « bobo parisien » du cinéma français, un terme, ma foi, déjà beaucoup galvaudé (petit pic destiné à mon estimé collègue de Hop, lol). Non seulement le réalisateur a prouvé via des films comme « Me Mère » la perversité de son univers, mais surtout il n’évolue ni dans un système composé de personnages clichés et de chassés croisés amoureux revêches, ni un système qui se contente de faire tourner sur lui-même des revirements psychologiques sibyllins où les personnages finissent toujours par retrouver une forme de sérénité ; non définitivement la description que je viens de faire s’applique plutôt au dernier film de Cedric Klapish. A ses risques et périls, Christophe Honoré fait dans le cinéma de l’émotion où rien n’importe plus que la justesse.
De justesse il en est souvent question dans « Non ma fille, tu n’iras pas danser ». Justesse dans le casting : Honoré est un peu l’inverse d’Audiard, là où le second s’efforce à tourner à chaque fois avec une nouvelle “gueule”, Honoré joue perpétuellement la carte de la famille au point de transformer sons équipe en véritable troupe de théâtre ; c’est ainsi qu’on retrouve une fois de plus : Chiara Mastroianni, Alice Butaud, Louis Garrel, Julien Honoré, ainsi que le fidèle Alex Beaupain à la musique. Il en ressort une harmonie et des répercussions évidentes. Justesse dans la direction d’acteur : les relations familiales ne forcent jamais le trait (contrairement justement à un « Conte de Noël » de Desplechin) et, aussi bien dans l’amour que dans la violence, ne sombrent jamais dans la dramaturgie déplacée. Justesse des dialogues : la scène dans la salle de bain entre Chiara Mastroianni et Julien Honoré, les échanges entre les deux parents allongés dans l’herbe, les moments d’intimité entre Léna et Frédérique… Tous les dialogues sont criants d’une vérité émotionnelle.
Malgré tout, comme je le disais en introduction, à force de vouloir repousser les limites de l’émotion, on finit par s’enfermer dans le grandiloquent. « Non ma fille, tu n’iras pas danser » souffre d’un scénario trop linéaire dont on ne cerne que la vraie force que lorsque l’écran devient noir et qu’on réalise que Léna ira jusqu’à abandonner ses enfants. Entre temps, il faut bien avouer que Chiara Mastroianni épuise par ses larmes, et surtout que Christophe Honoré nous livre un suicide cinématographique en plein milieu de son film via la mise en scène de la fable sensée donner son titre au film. Si l’approche métaphorique du conte en dit long sur les intentions en terme d’approfondissement et d’analyse des personnages, la scène est si mal réalisée et annihile tellement la dynamique du film, qu’on en reste coi. On passera également sur le personnage bien trop caricaturale de la fleuriste.
Au final si le film ne manque pas de personnalités complexes, il fléchit face à son sujet un peu trop conventionnel. Et puis sérieusement, Louis Garrel avec une veste de bûcheron, c’est comme faire chanter Thom Yorke sur un disque de Reggae, c’est un vrai gâchis ! Ma chronique de « La belle personne » se concluait ainsi : « “La Belle Personne” s’inscrit parfaitement dans la filmographie sans faux pas de Christophe Honoré, qui peut maintenant se targuer d’être avec Jacques Audiard, l’un des réalisateurs français contemporains les plus excitants. « La Belle Personne » clôturait sa trilogie parisienne. Je suis maintenant curieux de voir comment Honoré va évoluer, car il doit évoluer, prouver qu’il peut composer avec autre chose que la tristesse mais toujours avec la même justesse. S’il réussit ce chalenge, il aura sa chance de passer à la postérité. ». 1 ans plus tard, si Audiard a maintenu son statut, il est implicite que Honoré, lui, n’a pas réussi son challenge.
Il en reste néanmoins des scènes tout en retenue soit dans la tristesse, soit dans la joie. Les enfants donnent tout de même une sacrée respiration à ce film parfois étouffant via la scène de la chanson de Nigel ou encore les moments où Lena déploie son affection maternelle. Malgré ses défauts, « Non ma fille, tu n’iras pas danser » possède une sensibilité à fleur de peau qui se prolongera jusqu’au générique porté par Antony & The Jonhnsons.
Note : 6/10
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