Il serait bien ridicule de juger cet album pour ce qu’il représente et non pour ce qu’il est. Néanmoins certains n’y manqueront pas et avant même de l’avoir écouté, les puristes de l’intelligentsia musicale vous inciteront à vous détourner de « IRM ». Caprice de gamine, collaboration forcée, chemin tracé à coup de nom plus qu’à coup de voix… tout sera bon pour mettre la belle au placard. Mais bon comme le dit Charlotte Gainsbourg « Ce n’est pas la première fois que l’on aura mangé un artiste ». Ne souhaitant laisser ouverte aucune brèche ouverte, la « fille de » la plus en vue de France, s’assure de ne pas être catégorisée dès le titre éponyme : rien n’y est si évident, et l’instrumentation aux accointances hypnotico-krautrock l’emmène à mille lieux de tout rapprochement avec une certaine frange de la chanson française. C’est cet esprit d’indépendance, cette volonté de larguer les amarres qui permettent par exemple à « Le Chat du Café des Artistes » de ne jamais ressembler à du Jane Birkin amplifié par des violons volés à Melody Nelson.
Pourtant malgré des intentions emplies de noblesse, le parcours ne sera pas aisé. « Master’s Hand » pose invariablement les fondements d’un premier problème. En quoi l’aura de ce titre serait-elle amplifiée par la voix de Charlotte Gainsbourg ? Beck ne s’en serait-il pas sorti aussi bien tout seul ? Peut-on parler d’un album de Beck où les featurings de la française auraient été un peu trop envahissants ? Le deuxième problème est lié au manque de chaleur dégagé par le chant. « In The End » évoque la froideur de « 5:55 », et on se souvient combien les sons méticuleux des Versaillais de Air collait bien avec la voix de Charlotte Gainsbourg, une voix qui sonne toujours robotique, qui donne toujours l’impression d’avoir été composée, décomposée, recomposée sur Cubase. Mais ici, les sonorités folk auraient méritées plus de trippes et moins de prod.
« Heaven Can Wait » est ainsi un joli single efficace qui devrait illustrer prochainement quelques pubs pour des banques ou vanter les mérites du moteur écologique révolutionnaire d’une voiture. « Me And Jane Doe » et « Time Of The Assassins » sont aussi de douces ballades pop-folk, vraiment crédibles au premier abord mais qui finissent par dégager quelque chose de malsain, l’impression d’une recette appliquée, le sentiment étouffant d’une volonté de se caler coûte que coûte sur les modèles du genre.
La plénitude reposante de « Vanities », les influences 70’s de « Trick Pony », l’indie rock à la The Kills de « Greenwich Mean Time », l’aspect vintage americana de « Dandelion »… le mirage est parfait. Pourtant derrière ces chansons pleines de charme se cache un léger défaut d’âme, comme si la machine n’était qu’une somme d’automatismes. De plus à force de vouloir brouiller les pistes et de se prévaloir de potentielles attaques futures, « IRM » en oublie souvent sa cohérence.
Beck sait où il met les pieds et ne cherche pas à éviter le combat, il se tient droit et regarde la légende dans les yeux. N’ayant fi des reproches fait à son fameux « Paper Tiger », il se lance à corps perdu dans des instrumentations raffinées où les cordes servent à hisser un pont entre passé et présent et où l’impact tribal ne manque pas de rappeler Animal Collective (« Voyage »). Faisant don d’ubiquité, il apporte à Charlotte tout ce dont elle pouvait rêver un peu de l’âme de son père, beaucoup de son talent. L’album se clôt sur « The Collector » qui rappelle Benjamin Biolay qui lui-même voudrait bien être le digne successeur de qui on sait. La boucle et bouclée mais le jeu de la succession reste ouvert.
Si l’impression que tout ça a été trop bien calculé dépèce le côté enchanteresse de la l’album, il faudrait néanmoins être d’une mauvaise fois effrontée pour fustiger cet « IRM » tant il recèle de titres forts, tant le duo ne semble pas avoir lésiné sur les heures de travail, tant le souci du détail est manifeste. Avec « Antichrist » et ce disque, on ne pourra nullement reprocher à Charlotte Gainsbourg de ne pas prendre de risque, de ne pas chercher à casser son image. La fille sage est morte, un crucifix planté dans le coup, maintenant reste à savoir si tout cela n’est que du cinéma ou une véritable ascension.
Note : 6/10