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Certaines chansons sont à même de provoquer une véritable excitation textuelle. Ces chansons fonctionnent sur des mots, sur un phrasé à la rythmique lancinante. Ce sont soit des chansons où l’on sourit, soit des chansons qui font échos à nos vies, parfois les deux. « France Culture » est de ces titres. Tout y est posé, touchant, poétique avec un soupçon de cynisme moqueur. Le name droping n’y est jamais vulgaire ne servant qu’à dessiner les contours de l’homme. L’instrumentation, pas en reste, épouse les formes et provoque des frissons. Des phrases comme « Elle m’a dit qu’une fois elle a été amoureuse, elle ne m’a pas dit si c’était de mon père » prennent une dimension particulière, et on se surprend à avoir envie de faire écouter Arnaud Fleurent Didier à chaque personne qui franchit le seuil du palier. Faire écouter de la musique à l’invité qui n’était passé que pour boire une bière, quelle idée saugrenue ! Mais l’invité est affable et se prête volontiers au jeu, sans pour autant s’avérer complaisant. Franc du collier, il avoue trouver des passages comme « Fis de gauche, tu milites, milites ; fis de droite hérite, profite » un brin bobo, on lui rétorque sans hésiter qu’il faut prendre la chanson dans son ensemble que rien n’y est si facile, si évident, et que bobo est évidemment un terme fourre-tout qui n’a plus de sens. L’invité, prudent, dénué de la fougue inepte qui habite l’hôte et peu à même à s’enflammer pour un titre, répond d’un air laconique « Mouais, j’attends de voir l’album ». L’invité est un ami, un ami proche, c’est quelqu’un que j’estime depuis toujours, j’aurai du me douter qu’il avait raison. Contrairement à ce que pouvait laisser espérer « France Culture », « La Reproduction » ne transforme pas l’essai de « Portrait du jeune homme en artiste ».

Dès « L’origine du monde », la puissance émotionnelle décrite plus haut s’est volatilisée. Les harmonies vocales sont bâclées, les mots tombent à plat, mal choisis, mal pesés. Ca nous pousserait à basculer dans les clichés au risque de mal sectoriser entre les deux grands partis. On voit bien où le garçon veut en venir sur « Mémé 68 », on comprend bien le sens du message, les questions liées à ce monde qui mutent si vite que l’héritage laissé par la génération précédente n’est jamais si évident. Le problème se situe au niveau mélodique, au niveau de l’engagement. L’auteur y est beaucoup trop scolaire n’essayant pas de lier les notes avec son âme. Et puis il y a ce problème de voix, un problème particulièrement significatif sur « Je vais au cinéma ». Autant la voix d’Arnaud Fleurent Didier est chaude et profonde lorsqu’il use d’un spoken word désenchanté, autant sa voix chantée fait écho à une certaine forme de chanson dans laquelle je ne me retrouve pas.

« My space Oddity » est probablement le titre qui fait perdre le plus de crédibilité à « La Reproduction ». On y oscille entre pastiche et fausse dénonciation de la génération My Space. Entendre un chanteur clamer en 2010 « Sur My Space on rigole bien, on se fait des blagues et plein de copains », c’est, comment dire, gênant…On se sent mal à l’aise pour lui un peu comme devant un groupe d’ado au gibus au tremplin Emergenza. « Risotto aux Courgettes » est également trop kitchissime « pour qu’on tape son nom dans Google ». « Pépé 44 » à tout d’une face B. Cette pop lettrée ne transpire pas !!! Et certaines rimes auraient même tendance à m’exaspérer.

Pourtant à côté de ça, la justesse et le ton innondent l’auditeur au détour d’un couplet. « Imbécile heureux » propose un véritable sens de la narration très proche de Katerine, c’est un peu futile mais plutôt ravissant. « Reproductions » possède des accointances électroniques et une belle approche en matière de stoty-telling. C’est un peu joli, un peu sensuel. L’enveloppe désabusée de « Ne sois pas trop exigeant » est une illustration du réel talent du français. Il s’y impose naturellement comme un héritier de Houellebecq et de son « Présence humaine », le tout adoubé par les cordes de Gainsbourg. C’est frais et succulent, d’une antinomie complète avec « My space Oddity ».

Au final, on ne sait pas s’il s’agit de l’album râté d’un auteur brillant ou de quelques éclairs de génie lancés par un escroc. On nous avait promis la réconciliation entre la french touch et la chanson française, mais ici les sonorités électroniques ne sont qu’un prétexte et l’armistice est aussi illusoire que sur le « Sexuality » de Sebastien Tellier. L’invité avait définitivement raison.

Note : 4,5/10

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