Paris / du 13 janvier au 21 février 2010. Il y a quelques semaines, Christian Boltanski n’était encore considéré que comme le plus grand artiste français en matière d’art contemporain. Un statut, qui connaissant la place qu’occupe ce courant dans le cœur des français n’était finalement pas plus honorable que celui de Gojira (“le meilleur groupe de metal français”) ou encore que celui de Reverse Engineering (“le meilleur groupe d’abstrackt hip hop suisse”). Heureusement le cirque médiatique s’est laissé émouvoir par « Personnes » une œuvre spécialement réalisées dans le cadre de Monumenta 2010, une installation fusionnelle avec son lieu, une déclaration au Grand Palais. Grâce à elle, Christian Boltanski est devenu non plus le plus grand artiste français d’art contemporain mais le plus grand artiste français contemporain tout court, soit un bien bel exemple du jeu d’influence.
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l’art contemporain ne s’apprécie qu’au travers de ses concepts, et que des grilles de lecture sont indispensables pour s’abreuvoir de sa substance. Non je crois qu’au contraire, comme en musique, il s’apprécie selon un diptyque bien plus organique. Le curseur n’a que deux positions : soit l’œuvre touche soit elle ne touche pas. Pas besoin d’épiloguer pendant des heures sur des concepts conceptualisant, la plus grande des réflexions pouvant de toute façon laisser émotionnellement insensible.
« Personnes » de Christian Boltanski est d’ailleurs une parfaite illustration de cette remise en question du « concept ». Il s’agit presque d’un manifeste pour la réhabilitation du ressenti personnel. Si l’on s’en tenait à l’analyse pure, probablement que nous passerions à coté des sensations. Il faut dire qu’il est aisé en foulant le sol de l’installation de foncer tête baissée vers les thèmes récurrents de l’artiste et de s’enliser dans la thématique de la Shoah.
« Personnes » se compose de zones géométriques parfaitement définies et uniformes séparées par de longues rangées horizontales et verticales. Chaque zone est habitée par des vêtements immobilisés au sol tandis que non loin de l’épicentre se dresse une grue qui vient piocher des bouts de tissus dans une énorme pyramide de fripes. Le fond sonore n’est pas moins riche avec des centaines de cœurs qui battent à l’unisson et qui créent un troublant sentiment de repli sur soi-même.
Ainsi aidé par l’air glacial et par les grands espaces, il est tentant de n’y voir qu’une simple illustration des camps de concentration. Tentant certes, mais surtout beaucoup trop évident pour être honnête. Inutile d’analyser rationnellement ! L’œuvre se vit de l’intérieur – le visiteur étant d’ailleurs littéralement dans l’œuvre – et vous englobe.
Les habits vidés de leur corps nous interrogent-ils sur la présence ? Ces cœurs qui battent font-ils écho au fait que nous existons indépendamment de notre enveloppe physique ? La grue est-elle une métaphore du cycle de la vie ? Dans tous les cas, « Personnes » interroge bien plus sur notre présence humaine que sur l’absence consécutive à l’extermination massive.
Pour ma part, j’y vois une vision futuriste de notre monde, une sorte de récit de science-fiction. Les hommes sont privés de liberté et vivent dans des zones géographiques strictement délimitées. Interconnectés entre eux via la force des réseaux, leur enveloppe corporelle n’a plus de signification : ils ne sont plus qu’une intelligence collective alimentée par un spot d’énergie unique en forme de soleil artificiel. Ce carcan, cette absence de liberté n’est pas vue comme une prison. Au contraire, il s’agit d’un cocon réconfortant. Les bruits des cœurs qui battent rappellent la période de gestation. L’homme se sent comme protégé. Les souvenirs du ventre maternel lui rappellent combien la liberté est un cadeau empoisonné et combien elle a mené à un moment le peuple à sa perte. Cependant, cet univers sonore rassurant est troublé par le bruit entêtant d’une machinerie post-industrielle. La grue est le symbole de la dictature nécessaire à ce nouveau mode de vie. La matière humaine y est accumulée et retraitée à des fins obscures, à des fins que les habitants des zones ignorent. La grue représente l’angoisse qui les maintient dans leur position et qui les oblige à caler leurs pensées sur les rythmiques de leur ancienne existence.
Cette analyse est de loin la plus pertinente que je puisse faire, car elle est honnête et sincère. Si « Personnes » a un objectif c’est bien celui que chacun d’entre nous assume son ressenti personnel sans se laisser corrompre par de trop évidentes références historico-sociales.
Note : 8/10
>> Photo d’illustration par Didier Plowy. A lire également, l’article de Guillaume Ansanay sur Carpewebem au sujet de la conférence de Jean-Max Colard