Aa
X
Taille de la police
A
A
A
Largeur du texte
-
+
Alignement
Police
Lucinda
Georgia
Couleurs
Mise en page
Portrait
Paysage

TETRO de Francis Ford Coppola

Par Benjamin Fogel, le 04-01-2010
Cinéma et Séries

[Attention spoilers] « Tetro » commence comme l’histoire de deux frères qui s’apprêtent à reproduire la même erreur que la génération précédente. Suite à un traumatisme dont personne ne connait les tenants et les aboutissants, Tetro s’est exilé à Buenos Aires. Dix ans plus tard son petit frère Bennie le rejoint avide de retrouvailles et d’explications. Connaissant parfaitement nos habitudes de spectateurs, Francis Ford Coppola joue et fait mine de nous entrainer dans un drame fraternel classique. On n’imagine très vite que, tout comme leur père Carlo qui a trahi et méprisé leur oncle Alfie, les deux frères vont être amenés à reproduire le schéma et que Bennie s’appropriera le manuscrit inachevé, tout en rejetant son ainé. Mais c’est tout le contraire qui se passe, en mettant le doigt dans l’engrenage, c’est toute l’histoire de la famille qui se déroule jusqu’à remonter aux sources du traumatisme. De la fraternité à une relation père-fils, « Tetro » est au contraire un film sur la l’apprentissage, la rébellion face au carcan et la volonté de faire mieux que la génération précédente.

Au premier abord Francis Ford Coppola utilise des effets stylistiques un peu convenus mais très vite ceux-ci cimentent la puissance du récit. Les scènes (en flashback) précédant le traumatisme sont en couleur et s’opposent à la rugosité et à la blessure d’un présent en noir et blanc, auquel seule la mise en abyme via le théâtre et l’opéra peut redonner vie. Au niveau réalisation, l’américain donne tout ce qu’il a. Chaque plan, murement pensé, alterne entre la rigueur allemande et la légèreté italienne. La photographie frôle les clichés du cinéma indépendant, mais arrive toujours à se rattraper à une justesse émotionnelle. Quant aux scènes sur les planches, elles permettent une incursion de la folie et de la grandiloquence sans pour autant éloigner le film de la réalité et de la cohérence de son récit.

« Tetro » est un film sur le poids des absents. Dès le début du film, la présence de Vincent Gallo inonde la pièce alors qu’il n’apparait pas à l’écran tandis que la figure du père qui n’intervient que par intermittence pèse de toute sa vulgarité sur les personnages. Avec son casting de gueule qui tape là où ne l’attend pas, le film arrive surtout à dompter un acteur phare pourtant maître en auto-parodie.

A 71 ans, Francis Ford Coppola livre ainsi un film d’un raffinement exquis et d’une complexité sans limite. L’exploration thématique de « Tetro » peut à peine être efflorée par une critique. La famille, la célébrité, l’argent, l’amour, la folie, l’adolescence, le film ne se refuse aucun angle et dresse une toile particulièrement lettrée aux références pointues (cf « Les contes d’Hoffmann »). Il y a quelque chose de touchant chez ce Grand qui se sentant vieillir décide de réinventer son propre mythe et de cracher sur la pellicule ses peurs, ses angoisses et sa philosophie. Dans « L’idéaliste », le tribunal rapetissait au fur et à mesure de l’avancée du film afin d’accroitre l’oppression, mais ici nul besoin d’artifice, « Tetro » est une œuvre qui a sa propre logique et dont le sens n’est connu que d’elle-même.

Note : 9/10

>> A lire également, la critique de Rob Gordon sur Toujours Raison et la critique de Pascale de Sur La Route Du Cinéma