Si vous aimez même les albums les plus faibles d’un groupe (« Digimortal »), si le jeu des chaises musicales n’entame en rien votre engagement (Dino Cazares remplacé par Christian Olde Wolbers qui délaisse alors la basse pour la guitare pour finalement être délogé de ce poste l’année dernière par la résurrection de Dino Cazares), si vous ne considérez en rien les albums de restructuration (« Archetype » et « Transgression ») comme des périodes de transition mais bien comme des grands disques, fort à parier que vous êtes de ceux pour qui la notion de fidélité a encore un sens en musique. Et comme en amour, aussi édulcorée la notion soit-elle (ridiculisée par des années de trahison), il arrive encore que la fidélité finisse par payer.
Pour parler de retour, il faut déjà qu’il y ait eu un départ. De ce fait on parlera ici simplement de brique supplémentaire. Contre vents et marées, loin des reproches de la fanbase extrémiste et de l’inintérêt de l’intelligentsia, Fear Factory continue d’écrire les grandes lignes d’un métal contemporain qui n’à que faire des étiquettes et des positionnements. Après avoir été classifié métal industriel tout en restant un franc concurrent de Pantera et en multipliant les accointances avec le monde de l’électronique, les américains auront finalement été un des groupes les plus fédérateurs tissant des liens entre Machine Head, Ministry et des courants plus obscurs.
Aujourd’hui, « Mechanize » confirme plus que jamais cette position en réinventant la machine de guerre et en la densifiant. Bien que les règles soient les mêmes, que le synthé aux ambiances sombres se cache derrière des riffs hypnotico-tranchants, que la double pédale reste ce métronome de haute technicité, Fear Factory se permet des intrusions à envie : un piano déshumanisé sur le troublant « Christploitation », un interlude instrumental avec « Metallic Division » ou encore des emprunts au death dans le traitement du son (« Fear Campaign »).
Que ce soit sur « Mechanize » ou sur « Industrial Discipline », Burton C. Bell manie toujours à merveille l’alternance entre ses hurlements et sa voix claires qui ne sombre jamais dans les clichés. Quelque soit la technicité des autres membres, c’est bien lui qui régit les lignes de production. Sans son émotion vocale, le groupe aurait pu rester dans les abysses d’un style dont les voix prêtent trop souvent à sourire. Après il faut bien souligner également combien la prestation à la batterie de Gene Hoglan (Dark Angel, Death, Strapping Young Lad) est convaincante. Succéder dignement à Raymond Herrera était un défi de chaque instant et grâce à un jeu finement agressif, la transition se fait dans la continuité.
Parfois le groupe use un peu trop des artifices du style avec des refrains efficaces mais convenus (« Oxidizer ») et se laisse aller à quelques respirations inutiles au sein d’un tel chaos (« Designing the Enemy ») mais ce ne sont que des micro-détails aux vues du travail accompli sur des bases si mouvantes.
Avec « Mechanize », Fear Factory affirme ainsi son statut de groupe culte (que celui-ci soit d’ores et déjà reconnu ou qu’on ne l’officialise que dans quelques années). De par ses riffs quasi post-punk, son sens de la démesure et son chant habité, on réalise par exemple sur le brillant « Controlled Demolition » combien le groupe est un digne descendant de Killing Joke, combien il véhicule au fond des idées similaires.
L’album se clôt sur « Final Exit », la fameuse ballade de fin d’album qui est ici torturée, disséquée, tiraillée et allongée sur plus de huit minutes. Combien de groupe de métal contemporain sont-ils capables se prêter à l’exercice sans jamais remettre en cause leur intégrité et leur crédibilité ? Comme chaque année, j’étais rongé par la crainte de ne plus écouter de musique à guitares sous accordées et à chants gutturaux. « Mechanize » me confirme qui si mes exigences sont différentes, l’attrait lui reste intact.
Note : 8/10