Les frères Coen, la bêtise et la religion

Chacun de leurs nouveaux films génère deux types de réaction au sein de la sphère médiatique : d’un côté, il y a ceux qui, poussés par les habitudes promotionnelles, ne peuvent s’empêcher de titrer « Le meilleur film des frères Coen » ; et de l’autre, ceux qui soutiennent ad vitam æternam la théorie comme quoi les deux frères se seraient volontairement condamner à, invariablement, alterner chefs-d’œuvres et films légers. Peut-être existe-t-il une troisième voie, une voie qui n’en ait pas une et qui prendrait juste les films tels qui viennent. Mais pour l’instant restons-en à la théorie. Après le très mitigé Burn After Reading, A Serious Man serait donc un film important de leur filmographie. Et effectivement, ni le contenu ni la forme ne trahiront le théorème devenu axiome.

D’un point de vue décryptage est-il bien utile de revenir sur l’onctuosité de la galerie de personnages, marque de fabrique depuis toujours du tandem ? A ce stade là, il s’agit quasiment d’un acquis social ! D’ailleurs personne n’oubliera de rappeler le mépris que le duo exprime envers ses personnages :  on répétera à outrance que celui-ci n’utilise les acteurs que pour les tourner en ridicule, et ce sans la moindre émotivité. Personne n’oubliera car cela fait déjà dix ans qu’il s’agit d’un des traits d’analyse principaux des films des frères Coen. Mais la vérité c’est, qu’il s’agisse de la dream-team hollywoodienne ou d’illustres inconnus du grand public, Joel et Ethan Coen cherchent juste à humaniser (désacraliser)  leurs héros, sans jamais omettre que la bêtise est intrinsèque à l’homme. Ce n’est pas pour autant qu’ils leur manquent de respect ou qu’ils les dédaignent, c’est juste qu’ils aiment la bêtise humaine, qu’ils évoluent dedans, qu’il s’agit de leur sphère culturelle au même titre que la religion juive fait partie de leurs fondations. Ils vivent avec en se moquant de ses défauts et de ses extrêmes, mais sans jamais chercher à la renier.

Ce rôle de la bêtise humaine et sa comparaison avec le judaïsme semble ici, cinématographiquement parlant, au cœur de la question. Jamais les frères n’avaient si frontalement traité la question, et, malgré qu’ils ne cessent de la tourner en dérision, il en résulte justement une forme de respect. A Serious Man ne cesse de démontrer comment les dogmes qui régissent nos vies sont dénués de sens : toutes les symboliques du film ne débouchent que sur des interrogations. Hasards et coïncidences sont les seules déductions que l’on peut tirer des voies sacrées. Pendant tout le film, Larry Gopnik ne trouvera aucun soutien moral dans la religion, mais lorsqu’il décidera enfin que tout ça n’est qu’une mascarade et qu’il trahira ses croyances en trafiquant la note d’un de ses élèves, il sera immédiatement rattrapé par la parole divine et sera puni au travers d’une maladie grave.

Au cours de ce parcours initiatique riche en passages psychédéliques, en purs moments d’hystérie collective et empli d’un succulent sens de l’absurde, le personnage principal croisera trois rabbins qui traduisent à eux seuls 50 ans d’évolution de la culture juive : le sage Rabbi Marshak qui joue avec le silence de la tradition et ne déverse des éléments qu’au travers de métaphores alambiquées ; le second qui a tout du yuppie américain chez qui la religion est devenue plus culturelle que spirituelle ; et enfin Simon Helberg qui incarne le renouveau de la croyance d’une façon exacerbée, un renouveau qui ne possède pas les grilles de lectures et qui se rattache à ce qu’il connait (la drolatique allégorie du parking). Ces trois rabbins sont à l’image des ambiances du films : ils incarnent  le grand cirque de la vie ; tout y est alors, à la fois, hilarant et grave.

Finalement A Serious Man pourrait se résumer à une simple maxime : La religion c’est  comme la bêtise, on a beau la montrer du doigt et chercher à s’en débarrasser, elle n’en reste pas moins un élément essentiel de nos vies.