Pour une raison que je ne saurais expliquer, « Rook » le précédent opus de Shearwater a toujours été pour moi un album vocal, un album où Jonathan Meiburg essayait de démontrer au monde ses talents et d’acquérir une légitimité de fait face à son compère Will Sheff. Cette étape passée, il me semble que le chanteur peut passer à l’étape suivante avec « The Golden Archipelago » un album moins intimiste, plus riche en instrumentations mais tout aussi sensible.
Ce sixième album débute sur l’hymne national du propre monde de son auteur (« Meridian »). Les intentions sont claires, c’est à vous de vous plonger dans « The Golden Archipelago » et non l’inverse. Personne ne vous tendra la main et il faudra batailler dur pour mériter votre place. L’argument politique peut mettre des plus mal à l’aise, mais l’élitisme musical réussit toujours là où échoue l’élitisme social. Les instruments font leur entrée à l’unisson, méfiant de l’extérieur, solidaire de l’intérieur, pour imposer une orfèvrerie pop à la hauteur des attentes (« Black Eyes »).
« Corridors » est une cavalcade féerique vers une weird folk habitée, emplie d’électricité et chargée de l’intensité de Current 93. Tout cela est au fond terriblement rock au point de se demander s’il n’y a pas derrière des volontés d’expansion du territoire. Plus loin , les cordes de « Landscape at Speed » se déploient comme sur la BO d’une série mettant en scène les dilemmes d’un tueur en série qui ferait semblant de vivre l’american Dream.
Jonathan Meiburg connaît ses limites et connaît celle de sa discipline. Il en maîtrise les codes et les risques. Et lorsque les mélodies se déploient à grandes ailes, le commandant sait les rappeler à l’ordre avec qu’elles ne se risquent à fricoter avec la grandiloquence. Il y a une énorme différence entre « être à la limite de » et « être » et c’est cette différence qui est à l’origine de la réussite de ce nouvel album.
Des complaintes clamées du haut d’un phare (« Missing Islands »), des couplets de nuit chantés à tue-tête du haut d’un clocher (« God Made Me »), des émotions qui s’évadent du corps lors de l’ascension de l’Everest (« Runners of the Sun »), tout ici est fait pour prendre de la hauteur, pour se rapprocher su soleil. Néanmoins, malgré sa succession de titres fort, « The Golden Archipelago » reste peut être un chouia inférieur à « Rook », la faute à un certain manque d’ouverture sur le monde et à un Jonathan Meiburg très centré sur lui même. Il lui arrive même d’être étouffant comme s’il ne jouait que pour lui-même sans se soucier de son public (« Uniforms »).
Les barrières sont dorénavant dressées, Shearwater possède son propre territoire et y imposera une loi réinventée loin de celle de Okkervil River. J’espère juste réussir à obtenir la double nationalité.
Note : 8/10
>> A lire également, la critique de Thibault sur la Quenelle Culturelle