Jusqu’à quel niveau peut-on maintenir la distinction entre l’artiste et l’homme, entre l’œuvre et la vie ? Depuis toujours nous jugeons les œuvres indépendamment des êtres qui les créent. Ce pré-requis, qui pourrait être intellectuellement contestable, me parait indispensable tant la connaissance de l’humain pourrait sûrement nous rebuter au point de délaisser toute sa production, à la lisière de ne plus pouvoir apprécier la moindre de ses tentatives émotionnelles, au point d’avoir l‘impression d’en connaître tous les rouages. Non très clairement je n’ai pas envie de savoir que tel MC deale de la coke, que tel chanteur frappe sa femme, que tel compositeur a extorqué sa famille. Je préfère mettre des œillères afin de conserver intact ce refuge qu’est pour moi la musique, un refuge loin des guerres, de la politique et de la société. Peut être est-ce également pour cela que je ne lis jamais de biographie. Je veux juger les œuvres, pas les hommes. Je veux couper les ponts, je veux faire de la distinction un axiome mathématique.
Et pourtant malgré, cette ligne de conduite qui ne me quitte jamais, je ne peux cacher mon malaise face à certaines attaques.
– « Alors si j’ai bien compris, tu es prêt à donner de l’argent à un Nazi ou un pédophile sous prétexte qu’il a sorti un excellent disque ? » dit la conscience.
– « J’ai bien peur que oui » répond la sincérité.
– « En fait je l’ai téléchargé illégalement » dit l’homme en se dérobant.
Cette introduction n’étonnera aucun de ceux qui connaissent un peu le parcours de Burzum. Projet solo de Varg Vikernes qui joue tous les instruments afin de s’assurer qu’aucun collaborateur ne viendra compromettre l’intégrité de son œuvre, Burzum fut connu pour ses déclaration racistes et ses accointances avec le national socialist black metal. Et si cela ne transpira jamais dans les textes des albums, laissant l’œuvre loin de l’homme, ces prises de positions politiques ne furent que la première des limites franchies. En 1993, Varg Vikernes participera aux incendies criminels ayant pour cibles les églises norvégiennes avant d’arriver au point de non-retour avec l’assassinat de son ex-ami Euronymous, fameux guitariste de Mayhem (également présent sur « War » issu du premier album de Burzum). Suite à cet acte sanguinolent (une demi-douzaine de coups de couteaux tout de même), Burzum sera condamné à 20 ans de réclusion criminelle, durant lesquels le leader du Black Metal publiera 2 albums d’ambiant (le clavier étant le seul instrument qui était mis à sa disposition en prison).
Tout ça pour dire que si en comparaison de Varg Vikernes, Bertand Cantat est le gendre idéal, cela n’empêche Burzum d’avoir été libéré fin 2009 et de publier « Belus » un album qui a mûri dans son cerveau pendant de longues années et qui 15 ans plus tard écrit un nouveau chapitre de l’histoire du Black Metal.
La noirceur du riff de « Belus’ død » rappelle une version hypnotique de Neurosis. L’influence du post-hardcore est implicite même dans le chant. Les cris sont moins éraillés et s’ils proviennent toujours d’outre-tombe, ce n’est plus pour faire peur mais pour faire passer des émotions avec plus de nuances. « Glemselens elv » est une longue plage tout d’abord instrumentale. Les blasts et l’alternate picking sont sans surprise absent, et on se remémore combien le style particulier de Burzum a toujours été affilié au Black Metal sans jamais en reprendre les codes. Le tempo est lent et oppressant ; une marque de fabrique qui prend pourtant ici une nouvelle dimension : sans n’être jamais drone, il y a finalement beaucoup de Sunn 0))) dans ce Burzum revenu d’entre les morts.
« Kaimadalthas’ nedstigning » commence sur un riff épileptique produit et mixé dans une cave. La voix carnassière s’alterne avec des samples comme si From Monument To Masses fricotait avec Immortal. Puis soudain tout devient plus évident presque pop sans pour autant remettre jamais en question la cohérence du titre. L’évolution des structures est impressionnante. Burzum n’oublie rien et « Sverddans » tranche avec la complexité des précédents titres. Les guitares obtiennent ici une densité qui les pousse à limite de l’ambiant (« Morgenrøde »). Ethérées sans être apaisées avant de finir dans le chaos sonore de « Belus’ tilbakekomst »…
Si le nouvel effort solo de Ihsahn de Emperor pouvait vous paraître à la hauteur de l’âge d’or, dîtes vous bien que « Belus » le transcende. Ici le Black Metal est devenu post. On ne sait s’il intègre tous les courants, on sait juste que les limites ont été à nouveau franchies mais que cette fois ci les velléités sont tout autres.
Note : 8/10
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