Il y a dans la vie de chaque critique musical, un moment redouté auquel on ferait tout pour se dérober. La réunion vient de se terminer, les pages du Filofax étouffent sous ces innombrables lignes pleines d’abréviations indéchiffrables, l’ordre du jour a été traité en long et en large et la conscience professionnelle s’apprête à s’en aller repu. Quand soudain, votre boss pose une main amicale sur votre épaule et vous glisse entre les doigts une petite galette argentée qui n’a rien d’une prime de fin d’année : « Tiens, je t’avais parlé de mon groupe de punk. On sort notre premier album, je te le file au cas où. ». Le « au cas où » signifiant évidemment ici au cas où ça te tenterait d’écrire une chronique dessus sur Playlist Society…
Certes, il ne s’agit pas à proprement parlé de mon boss mais cela n’empêche que je me sens fonctionnellement sous ses ordres et que la problématique est bien présente. Un groupe de punk qui s’appelle The Marxmallows, un positionnement communisto-potache, comment allais-je pouvoir m’extirper de ce faux pas ? Hors de question de livrer une critique assagie, de me laisser corrompre par les éléments extérieurs. Humainement difficile de dresser un portrait au vitriol de l’album et des styles qu’il représente. Peu fair-play de se dérober et de jouer la carte d’une lâcheté déguisée sous le mot transparence. Et puis surtout, je l’aime bien moi mon boss de chez Ricard sa Live Music…
Ce qui est vraiment incroyable, c’est que pas une seule seconde, l’idée qu’il puisse s’agir d’un chouette album ne m’a effleuré l’esprit. Que ce soit à cause de l’immuable loi de Murphy ou de mes préjugés increvables sur tel ou tel genre, j’étais loin de m’imaginer que je pourrais me retrouver à sautiller si bêtement.
Des riffs power punk soutenus par une basse qui ne lésine pas sur les notes, (« Everyone Hates »), des accélérations de batterie qui débouchent sur des refrains pop où le banjo vous invite à un ailleurs électrique (« Nothing At All »)… Cela ne vous rappelle rien ? Oui écoutez « My Feelings » ! Cette insouciance, cette facilité d’écriture !!! Vous êtes revenus seize ans en arrière à l’époque où Green Day sortait son culte « Dookie ». C’est bien de cela qu’il s’agit. Chaque écoute de « Who Cares ? » me rappelle combien Green Day, et plus généralement le pop-punk, pouvait être excitant.
Malgré une production, trop typée DIY, The Marxmallows livre au travers de « Hawaiian Girl » une puissante pop song qui possède la légèreté des Beach Boys et la fraîcheur des premiers Weezer. Certes les chœurs manquent un peu de conviction et les chansons sont trop marquées par le poids des influences (« Don’t Track Me Down »), mais l’énergie juvénile qui coule dans « Quebec City (Part I & II) » a de quoi faire riposter la vieille garde anglaise.
Alors voilà, plutôt que de maugréer sur le pourquoi du comment il faudrait parler de ce disque, j’ai décidé de brancher la guitare, d’ouvrir un pack de Kro et de rejoindre le groupe dans cette arène où des punks à lunettes parcourent en skate des caves dont les murs ne cessent de s’effondrer.
Note : 6/10
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