Les trente glorieuses auront été une anomalie temporelle en dévoilant un monde où l’espoir de lendemains toujours meilleurs transcendait les peurs et les angoisses. Il en découla naturellement des années où la mort n’était plus cet ennemi qu’il faut combattre au quotidien, ce monstre angoissant qu’on ne doit jamais quitter des yeux. Cependant le monde se voilait la face, et il s’agissait plus d’un oubli collectif que d’une aisance par rapport au sujet : « A la libération, la révélation des images des camps fait perdre l’envie pendant 10 ans de toutes représentations morbide : pour l’avoir trop vue, nul ne veut plus voir la mort en face ». Alors que tout le monde craignait que la mort ne réapparaisse par la guerre, c’est par l’épidémie qu’elle revint hanter les hommes : le sida et la fin de l’innocence rappelaient aux hédonistes que tout a un prix. Christian Boltanski introduit les camps de concentration dans ses oeuvres et la mort redevint ce thème avec lequel il est impossible de ne pas composer.
Ainsi avec ses 160 œuvres qui mélangent peintures, photographies, sculptures, objets, bijoux et vidéos, « C’est la vie » reconstitue le parcours de ce qui reste au final l’histoire d’une impuissance humaine face à la mort. On regrettera cependant son manque de structuration du discours et cette organisation chronologique qui évite la véritable réflexion thématique et qui n’apporte que peu d’axes d’analyses aux visiteurs admiratifs de la richesse des oeuvres mais frustrés par l’absence de clefs. D’autant plus que le chemin n’est pas lisse et qu’il faut intégrer dans la mise en perspective les aspects grotesques ou consuméristes qu’ont pu revêtir des cranes devenus instruments de mode comme les autres.
Mais malgré tout, le crane reste l’incarnation du « Final Nervous Breakdown » (Marc Quinn), quelque chose de justement particulièrement humain, comme si au fond il n’était qu’une allégorie créée de toute pièce par l’homme. Plus qu’un message de mort, le crane serait un symbole de vie. Non pas parce qu’il est une vanité qui nous ramènerait à la finitude et à la brièveté de la vie et à la nécessité d’en profiter au maximum mais parce qu’il serait le dénominateur commun de l’existence de chacun, celui qui nous rappelle que nous partageons le même combat, comme le démontre « Identité Nationale » de Raphaël Boccanfuso.
« C’est la vie » prouve que le sens de la mort n’apparait que via un prisme particulier (les tableaux dont l’image se forme dans le miroir cylindrique) et qu’elle est si ancrée dans la nature que l’homme ne pourra la dompter (les photos de crânes/fruits de Dimitri Tsykalov).
Notre rapport à la mort est ambigu et jamais figé, et en ça « C’est la vie » personnifie l’indomptable.