Un long couloir sombre tapissé d’incantations bibliques cloisonne la route du pèlerin. Au bout du chemin, un objet monstrueux se dégage de l’obscurité. L’homme avance à pas de loup comme pour essayer de retarder le moment fatidique de la confrontation. Sur les murs, les crimes originels se jettent sur les pensées de l’homme et lui rappelle que la machine de mort concerne l’humanité dans son ensemble. « Qui ne désire pas la mort de son père », qui n’est pas un meurtrier ? Qui peut être sûr de ne jamais connaître la déchirure ?
William Blake et son « Blasphémateur » contemplent avec amusement le condamné à la manière d’un Mark E Smith plein de cynisme. « Cain portant le corps d’Abel » de Alexandre Falguière rappelle que le premier meurtre de l’imaginaire religieux n’est pas puni de mort. Le châtiment de Caïn se bornera aux remords qui dévorent de l’intérieur. Peut-être alors que cet engin de mort qui vous attend n’est qu’une vieillerie, un objet usité du passé qui sert à faire peur et non à punir. En réalité Caïn et la Guillotine incarnent la question fondamentale qui anime la justice : Punir ou soigner ? Car plus que « Crime et Châtiment », l’exposition s’interroge ici sur « Crime et Conséquence ». Ce qui est sûr, c’est que quoiqu’il en soit, il n’y pas d’issue heureuse et le chemin de la guérison peut être encore plus douloureux que la mort comme le prouve le « Caïn ou Hitler en Enfer » de George Grosz
La fameuse guillotine ne joue pas ici le rôle de bête de foire mais bien celui de pivot, d’entrée dans un monde qui croule sous les paradoxes. Elle impose tellement sa présence que l’éclairage en oubli de se poser sur le « Lucifer » de Franz Von Stuck dont personne ne pourra alors profiter. Par la porte de l’instrument de mort, le visiteur est replongé dans un monde pas si éloigné où l’abolition de la peine de mort ne s’était pas encore affirmée comme l’une des fondations phares de notre culture (il ne faut pas oublier que la dernière utilisation de la guillotine ne remonte qu’à 1977 !)
« Crime et Châtiment » retrace 200 ans d’évolutions judiciaires et de remises en cause de l’institution sous fond de questions philosophico-éthiques. Le meurtre peut-il être considéré comme une maladie ? Le châtiment n’est-il pas un crime plus important que le crime originel ? Et surtout quel rôle joue la passion humaine pour l’ignominie ? Comment médias et crimes ont été intimement liés ?
Le crime ne serait-il pas un courant comme les autres soumis à des modes et à des codes médiatiques ? On dénote des tendances et un intérêt du public qui pourraient d’une certaine manière conditionner les crimes, et l’on traverse ainsi : les crimes passionnels, les crimes historiques (L’assassinat de Marat comme emblème avec l’inévitable Jacques Louis David mais aussi Hauer, Weerts, Munch et Baudry), les crimes des brigands (série de Goya), les crimes des femmes fatales, les crimes des sorcières, les crimes sexuels…
Dans ces thèmes, l’esthétique de la violence trouve une inépuisable source d’inspiration. Au fond, les artistes ne jugent pas, ne prennent pas partie, tout au mieux ils dénoncent en s’en délectant.
Note : 8/10
>> Illustration : « Etude de pieds et de mains » de Théodore Géricault / Photo Frédéric Jaulmes
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