Rythmiques des tubes ou formatage du lobe pariétal ? Dans les deux cas nous avons été sensoriellement mal éduqués et toutes les guitares qui viendront se caler sous le balancement haché d’un flow seront traitées avec un dédain courtois qui saluera l’exercice sans s’y attacher. L’ouverture est noble mais les mondes ne se mélangent qu’artificiellement (Gorillaz) avec un arrière-goût de collage forcé (Cypress Hill), et des contours dont la légitimité s’efface au-delà de la première brique (Everlast).
Sage Francis avait su contourner la problématique en se focalisant non pas sur un rapprochement d’ordre musical mais sur une fusion des états d’esprit : aucune stratégie géopolitique ne se cachait dans le transfert de la sphère Anticon vers celle du bastion punk Epitaph ; le journal intime était juste déclamé dans une autre langue avec une intensité intacte comme en témoignait « Escape Artist». Deux ans plus tard, « Human The Dance » conservait la verve intacte et le beat fier (« Unerground For Dummies »). De par cette formule qui lui permettait de mélanger les univers sans les compromettre, Sage Francis tissait des ponts entre ses comptines littéraires et son engagement politique.
Dans ces conditions, il était difficile d’imaginer que « Li(f)e » prendrait le contre-pied de l’individualité pour devenir une kermesse où il y a plus de featurings que de titres et où les guitares ne sont plus une image mais un instrument bien réel, pour réaliser de savants calculs où la somme des parties est pourtant toujours inférieure à l’unicité de l’être. Non on ne reformate pas si facilement le cortex ; non les deux mondes ne se mélangent jamais vraiment. L’apôtre blanc a beau réunir les meilleurs talents de chaque côté, les sensibilités entrent en collision sans jamais co-construire.
« Li(f)e » est comme ces grandes messes politiques où l’on s’imagine que l’importance des participants impliquera forcément des conclusions qui déboucheront sur des prises de décisions efficientes. Mais au final il est évident que la guitare de Jason Lytle de Grandaddy ralentit le flow tandis que ses chœurs étouffent le MC (« Little Houdini »).
Malgré les ambitions et le travail minutieux de chaque instant, Le fameux crossover reste ici une utopie. Pourtant encore une fois les velléités sont nobles : Sage Francis a volontairement sélectionné un panel de musiciens qui ne s’étaient jamais frottés au hip hop et a, dans un souci de défi, opté pour une adaptation de son flow à leurs instrumentations. Il en résulte une légère inadéquation d’autant plus parlante lorsque les instrumentations portent profondément la marque de leurs auteurs comme c’est le cas sur « Slow Man » avec Calexico.
Bien sûr « Li(f)e » comporte de nombreux moments de surprise et quelques lignes mélodiques particulièrement bien amenées par Tim Rutili de Califone (« Polterzeitgeist » et « The Baby Stays »). Mais tout nous éloigne des méditations du passé. Au lieu de consolider la noirceur et de produire un indie hip hop inspiré, Chris Walla de Death Cab for Cutie fait de Sage Francis un nouveau Mike Skinner et « Three Sheets To The Wind » devient « Three Streets To The Wine ». C’est catchy et entraînant mais dépossédé de la hargne d’un « Gunz Yo » (« London Bridge »). Quant à Yann Tiersen, il s’en sort au final moins bien que le collègue Kurtis SP sur le « Hell Of A Year » de 2007.
Alors pourquoi tenter le Diable, lorsque les échanges les plus racés proviennent du milieu originel, pourquoi ne pas se contenter d’une longue soirée avec Buck 65 (« I Was Zero »). Pour réussir là où les autres ont échoué ? Pour s’ouvrir au champ des possibles ? Pour se gargariser de sa capacité à réunir de si prestigieux noms ? Peu importe les raisons, le résultat est là : les beats nous manquent et la noirceur ne nous envahit plus. Les ténèbres n’auraient pas du se frotter à la lumière des grands espaces américains. La vie est peut-être un mensonge mais la vérité ne sauve pas les âmes. Il ne reste que ces mots captés le temps d’un moment de sincérité.
Note : 4/10
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