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ARANDEL – In D

Par Benjamin Fogel, le 21-06-2010
Musique

Les musiciens sont devenus des têtes anonymes dessinées sur un bout de carton et les taches autour de leurs yeux sont des tests de Rorschach. Que voit-on dans cette flaque d’encre ? Du krautrock qui se serait muté en dubstep, de l’electro new-yorkaises fonctionnant avec les codes du lo-fi ? Arandel n’a pas de visage, pas de nom. A la manière d’un Burial, il réinvente le mythe du dj masqué qui ne se produit que dans l’ombre de ses mix.

« #1 » réussit à nous plonger dans la chaleur d’un univers dont tous les codes nous sont pourtant inconnus, mais au lieu de craindre le mystère celui-ci devient une source d’inspiration. Très vite un sentiment protecteur envahit l’auditeur comme si la moiteur générée lui rappelait sa gestation : l’électronique est ici organique au point de devenir humaine. Le mystère est naturel et n’a rien d’artificiel. Il faut dire que plutôt que de chercher la cohérence, « In D » s’homogénéise sur sa démarche, une démarche en forme de dogme sonore, sorte d’inévitable pendant musicale au Dogma 95 de Lars Von Trier, où l’auteur s’interdit d’avoir recours aux techniques trop modernes qui multiplient à l’infini le champ des possibles. La règle se définit ainsi autour d’une notion d’authenticité et d’honnêteté créatrice : seuls les sons qui ont été produits lors de la session d’enregistrement ont le droit d’être utilisés ; les samples, les kits de batterie, et tous les sons MIDI sont proscrits. Il y a ici une envie de redéfinir l’électronique comme une musique qui n’aurait rien d’informatique pour un résultat qui se veut forcément intrinsèque et au plus proche des battements du cœur.

« #6 » est une chorale électronique, une incantation qui lorgne vers un opéra post-moderne d’une manière plus frontale que The Knife et où Fredo Viola pose sa voix dans un contexte angoissant mais toujours chaleureux. « #5 » poursuit cette descente dans un monde où les fréquences d’abord à peine audibles forment peu à peu un champ magnétique dont l’auditeur ne sortira plus via des sub-bass d’une rare profondeur et des coups de baguettes inspirés par Massive Attack. Il y a dans ce titre une technologie organique qui possède une telle force évocatrice que tout « In D » n’arrivera pas à s’en relever. Effectivement le risque n’était-il pas de dévoiler trop tôt un coup de génie impossible à reproduire ? Quels autres choix s’offraient alors à Arandel que de se perdre dans son propre monde ?

« #9 » a tout du chaos instrumental où les flûtes se transforment en guitares saturées et où l’on jurerait que le son des batteries a été décuplé et bidouillé à même l’ampli, mais ne réussit pas à émouvoir comme les premières pistes, car en voulant prouver qu’il ne sera jamais prisonnier des codes de la musique électronique, Arandel se retrouve à devoir composer avec ceux du post-rock. Le tout débouche sur « #10 », un voyage initiatique psychédélique porté par un sitar qui essaye de se caler sur des notes improvisées de piano ; on y sent la saine volonté de se remettre en cause à chaque chanson mais aussi une certaine crainte à l’idée de ne pas réussir à se réinventer en conservant les mêmes fondements. Ainsi Arandel n’ose pas affronter ses peurs et préfère s’en détourner quitte à fréquenter des lieux où sa grandeur s’exprime moins et où les chansons se transforment en simple exercice de style (« #8 »). Du coup à force de trop vouloir multiplier les effets de différenciations, « In D » devient parfois un patchwork qui manque non seulement de ligne de route mais qui surtout produit des titres un brin académique qui sombrent dans ce qu’ils voudraient dénoncer.

Paradoxalement, il ressort ainsi de l’utilisation d’un dogme une liberté trop forte, car ici la contrainte agit sur la forme et non sur le fond au point que Arandel manque, dans son univers pourtant si défini, de repères. Ce n’est d’ailleurs que lorsqu’il retrouve les bases de « #1 », qu’il se les réapproprie, que les plages instrumentales sortent du cadre des vapeurs nocturnes pour se muter en un long voyage cinématographique à la polyphonie violionique haletante (« #3 »).

Lorsque l’épilogue se termine, lorsque le générique de fin envahit l’écran tacheté, on réalise que Arandel a bien les épaules assez larges pour porter un tel concept mais que plus que sur les typologies de sons, c’est sur l’univers que le dogme devrait porter.

Note : 7/10

>> A lire également, la critique de JS sur Good Karma et la critique de B2B sur Chroniques Electroniques