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Hotel Villa Royale / Le 16 juin 2010. Recroquevillé sur moi-même tout en étant debout, adossé contre la paroi tout en refusant le contact avec cette vitre graisseuse, je tentais maladroitement de transformer ce trajet sur la ligne 2 en moment de lecture. J’avais chaud (alors que je savais qu’il faisait froid dehors) et je maugréais d’avoir dans le coltard du matin réussi à confondre ma veste avec mon manteau de demi-saison. C’est con mais je n’aime vraiment pas l’idée qu’une chemise et une cravate puissent vivre une romance loin de la coupe protectrice de leur veste. Malgré les goûtes de sueurs que je sentais se former contre ma volonté sous mes tempes grisonnantes (oui c’est pas tout ça mais avec ces conneries je vais avoir 29 ans), je n’avais nullement l’intention de fermer « Juliet, Naked » de Nick Hornby pour la simple et bonne raison que je savais que ce que je lisais était entrain de prédire la rencontre à venir : Et peut-être aussi du fait que ce que les gens pensaient avoir entendu dans « Naked » en était en réalité absent, et de la raison pour laquelle ces gens entendaient ces choses, et de ce que cela révélait sur eux.

La chambre Michou de la Villa Royale était conforme aux attentes : faussement chic, faussement kitsh, avec des étoiles au plafond et une vue magnifique sur Montmarte. Dans cette pièce étrange, je ne me souvenais plus trop ce que je faisais là. J’avais envie de parler, de boire des coups mais sûrement pas de faire une interview. Tout laissait penser que je ferais mieux de m’enfuir avec Guillaume et Anthony. Malheureusement à peine avais-je eu le temps de négligemment déposer mon manteau de demi-saison sur la chaise la plus proche de la fenêtre que les deux compères avaient filé. Je tournai alors un peu en rond, je me sentais nu avec cette chemise non accompagnée, je me demandais si je ne ferais pas mieux de remettre mon manteau qui avec sa coupe cintrée et sa matière légère pourrait rapidement, l’alcool aidant, passer pour une veste…

Quand Philippe Katerine entra, j’eu tout de suite l’impression qu’il était plus perdu que moi. Avec sa chemise manche courte aux fleurs multiples qui n’avait pas plus que la mienne la chance d’être protégée des regards par une veste, c’est avec un déphasage charmant qu’il ouvrit pour moi une demi-bouteille de Sauvignon. On trouva tant bien que mal à s’asseoir dans cette chambre qui ne cessait de me laisser perplexe, et je ne pus m’empêcher de penser à Michel Houellebecq. En interview, Michel était toujours insaisissable, tant son honnêteté, sa discrétion et l’étonnement naïf face à sa position jurait avec son œuvre. Oui Philippe me fit le même effet, si ce n’est que contrairement à l’écrivain, il était implicite qu’il ne jouait pas un rôle. Je me rappelai alors combien « Les Créatures » et « Présence Humaine » étaient deux albums qui avaient beaucoup en commun : l’époque, le recours à un brillant groupe (les Recyclers pour le premier, AS Dragon pour le second), le goût pour les ambiances easy-listening et la poésie chantée, et surtout une qualité qui imposait les deux auteurs comme des Gainsbourg modernes.

Le vin aidant, je commençai à raconter des conneries, puisqu’au fond on était un peu là pour ça. Je dis que je détestais « Robots Après Tout », j’essayai de m’en expliquer, je prétendis que c’était une réponse à sa timidité, qu’après avoir posé ses trippes dans certaines chansons, qu’après s’être mis à nu sur des titres magnifiques (le diptyque « Gare du Nord » / « Gare Montparnasse ») et avoir du en accepter les conséquences, assumer ses mots devant le monde, il avait cherché à faire machine arrière en se protégeant derrière son humour, en laissant celui-ci prendre le pas sur la poésie. Le rire et les beats dansants s’imposaient comme une échappatoire, comme un moyen de ne plus jamais être critiqué sur son intimité. C’est bien simple, s’il ne m’avait pas arrêté, j’aurai fini par lui dire que son humour plombait ses disques, qui les rendait futiles et transformait l’œuvre en divertissement. Mais, et on en revient donc à « Juliet, Naked », il m’expliqua qu’il n’y avait pas de retournements psychologiques, pas de grandes révélations et encore moins de feuille de route. Non juste l’envie du moment et l’immuable fait d’être devenu quelqu’un d’autre, quelqu’un qui contemple ses premiers albums non pas comme la première pierre d’un édifice artistique mais juste comme une photo en noir et blanc qui vous rappelle qui vous étiez à cette époque.

Au final, le schéma s’inversa et « Robots Après Tout » devint au contraire son album le plus personnel, celui où il faisait enfin ce qui lui plaisait vraiment, celui où il assumait son goût pour le grotesque, sans peur du qu’en dira-t-on et sans crainte du ridicule. Etait-ce si difficile de concevoir que les choses apparemment les plus intimistes pouvaient n’être que des postures crachées sans mise en danger sur le papier ? N’était-il pas implicite que le beau était toujours un combat plus aisé que le grotesque ? (Tout en conservant intact mon goût pour l’un et mon désaveu pour l’autre).

Lorsque plus tard, je me retrouvai seul dans la chambre, je fus contraint de rigoler moi-même de la vacuité des mises en perspectives des passionnés. Ces affirmations erronées sur le pourquoi du comment des œuvres ne devenaient-elles pas avec un peu de recul franchement comiques ? Puis finalement, comme toujours, je finis par retomber sur mes pieds en me rappelant combien les analyses infondées font partie du mythe et aident à la construction de ce monde qui me rassure tant. Mais bon, mieux valait ne pas prendre tout ça trop au sérieux et garder ces divagations pour des nuits plus solitaires. Je me laissai alors embarquer par Pauline et Laurent pour faire ce que je sais faire de mieux : boire pour ne pas me poser trop de questions.

Sur le chemin du retour, « Juliet, Naked » dans les mains, je réalisai une fois de plus combien j’étais plus Duncan que Tucker Crowe mais cela ne m’attrista pas. Je pensais au prochain album de Philippe Katerine, un album qu’il m’a dit avoir enregistré avec un groupe en condition live et en ne conservant que les premières prises, un album plein de l’indie-pop de sa jeunesse, un album qui n’aurait rien à voir avec « Robots Après Tout ». Je m’imaginai déjà écrire dessus et évoquer une évolution en forme de retour aux sources et je rigolai à nouveau de moi-même, mais cette fois avec une certaine forme de satisfaction. La vie était définitivement plus facile lorsqu’on décidait d’assumer.

>> Le nouvel album de Katerine sortira le 27 septembre 2010