Le noir et le blanc se mélangeaient avec affection et retenue, ils se tournaient autour, se mélangeaient sans se confondre et devenaient une toile contemporaine qui transformait leur couleur passée en élément fondateur. Black Mountain avait beau exposer trop clairement ses influences sur « Druganaut » et préférer rendre hommage plutôt que de se dévoiler sur « Modern Music », il n’en restait pas moins que les canadiens puisaient dans les single malts de Black Sabbath et du Velvet Underground de quoi faire un blended au nez fin et complexe avec des notes de cuir, à la bouche puissante et épicée et à la finale longue, boisée, aux arômes de fruits mûrs. L’ivresse ne tardait pas à surprendre l’auditeur, et « In The Future » le plongeait dans des vapeurs psychédéliques qui s’auto-entretenaient. On se sentait bien chez ce old-fashioned band tourbé.
Malheureusement, « Wilderness Heart » pousse les hallucinations trop loin, un requin se reflète sur les vitres de l’immeuble dans la face, c’est la descente, la gueule de bois qui fait mal à la tête et au cœur, celle qui est d’autant plus douloureuse que l’on doit mettre un perspective le mal-être du matin avec la folie de la nuit. Puis à force de se chevaucher dans la tête les souvenirs deviennent un affreux gloubiboulga sonore, on ne distingue plus les teintes, les frontières entre le noir et le blanc se sont érodées, il ne reste qu’un mélange grisâtre dénué de décence. Voilà le risque encouru quand on va faire la fête un peu trop loin de chez soi : on fait confiance à des amis d’amis sans s’être assuré de leur fiabilité (les producteurs D.Sardy et Randall Dunn) et on se retrouve avec un rein en moins abandonné dans une ruelle sombre de la banlieue de Los Angeles. On aurait du se méfier après la dernière fugue de Stephen McBean avec le « Outside Love » des Pink Mountaintops… il est néfaste pour certains de chambouler leurs repères.
Les riffs fumeux qui semblaient avoir grandi dans le bayou ne sont plus ici que des attrape-nigauds auxquels on joue dans les fêtes foraines, les doigts dégoulinant de guimauve (« Rollercoaster »). La fatalité induite par ces écarts est que la suspicion d’un culte pour le mauvais goût ne cesse alors de peser partout. A l’écoute de « Let Spirits Ride », on se demande si Black Mountain cherche vraiment à enfourner sa moto et à traverser les Etats-Unis pour aller célébrer Mardi gras à La Nouvelle-Orléans où s’il s’agit tout bonnement d’une bonne blague à la Jack Black à coup de riffs éculés qui servent à illustrer la cause du rock dans un cours pour enfant. Debout sur l’instable bureau, la tête produisant de bien connus mouvements, le guitariste gratte les cordes avec une énergie futile tout en se mordant les lèvres pour laisser sous entendre une difficulté technique inexistante. Entre deux accords, ses doigts se tortillent avec malice pour reproduire les cornes du Diable, quand soudain il se jette à terre pour exécuter un solo qu’il imagine être une incantation satanique. Mais dans la salle, les gosses sont morts de rire et le chanteur réalise alors qu’il s’est surtout fait mal aux genoux. Pour ce qui est du rock’n’roll, il s’agit donc plus d’un voyage en classe verte avec Kings Of Leon (« The Space of Your Mind ») qu’une histoire de virée nocturne à la recherche de sensations qui transcende la routine du quotidien.
Au détour d’une gorgée salvatrice, Black Mountain retrouve parfois l’alchimie qui faisait tourner la tête (« The Way to Gone ») mais il y a toujours un clavier, un chœur ou un solo poussif pour venir gâcher les retrouvailles. « Old Fangs » par exemple emprunte d’abord les sillons reconnus, ceux dont la neige conserve les traces du stoner, ceux qui ont oublié le Sabbath mais qui rêvent encore à travers les yeux de Queen Of The Stone Age, mais n’arrive jamais, la faute aux sons spatiaux, à s’arrêter avant la chute d’eau.
On ne fait pas l’apologie d’un mouvement tout en cherchant sans cesse à le caricaturer.