On peut toujours se raccrocher à des souvenirs, faire preuve d’indulgence par habitude et par complaisance. On peut parler de simplicité, on peut trouver ça vain mais efficace mais revigorant. On peut se dire que Incubus incarne la frange d’un rock générateur d’émotions simples mais toujours parfaitement exécutées. On peut se dire que c’est la famille, que c’est pas terrible mais qu’on les accepte comme ils sont. En revanche il ne faudrait pas pousser mémé dans les orties, et hocher de la tête comme un béni-oui-oui à l’écoute de cet album solo de Brandon Boyd reviendrait à féliciter gaiement votre cousin détesté d’avoir dépensé tout l’argent du foyer dans des enjoliveurs pour sa Golf tunnée. Non voir un chanteur laisser de côté toutes les qualités de son groupe pour n’en régurgiter que les évidents défauts, c’est une nouvelle un peu trop difficile à ingurgiter.
« The Wild Trapeze » est ainsi essentiellement composé de sous face-B d’Incubus (la chanson qui donne son nom à l’album), ou plutôt de vraies chansons d’Incubus mais qui au lieu de s’appuyer sur ses musiciens charnels et aguerris auraient été enregistrées par un groupe de studio payé à l’heure et pressé d’en finir pour retourner glander devant la télé (« Here Comes Everyone »). Il en résulte des ballades pop complètement en roue libre où Brandon Boyd livre une prestation de lover pathétique. S’il a toujours eu ce côté « je fais crier les filles lorsque j’enlève mon T-shirt en concert », il ressemble ici à un vieux beau qui après une traversée du désert affective se serait laissé pousser la moustache et tenterait un retour gagnant sur le marché de la ménagère désespérée en mal d’amour. Lorsqu’il écrit « Courage and Control », il ne croit pas si bien dire, car il en fait du courage pour écouter le morceau plus d’une minute et du contrôle pour ne pas jeter la galette aux orties (je dis ça par rapport à mémé qui est déjà dedans et qui serait peut être contente de récupérer l’album).
On en arrive à se demander si depuis tout ce temps, Mike Einziger et Ben Kenney ne passaient pas leur temps à canaliser le mauvais goût de leur ami et sa tendance à vouloir amener la grandiloquence sur la plage (« A Night Without Cars »). Il doit bien falloir être plusieurs pour l’empêcher de déployer toutes ses très mauvaises idées mélodiques comme cette envolée écœurante au piano mal accordé sur « Dance While The Devils Sleep » (merci Dave Fridmann). Au point où on en est, on s’émerveille devant les titres qui, à défaut d’être intrigants et d’avoir quelque chose à raconter, sont à minima agréable à écouter. Les ambiances de « Last Night A Passenger » en font un bon titre de dark-pop tandis que les rythmiques qui claquent sur « All Ears Awov ! » redonnent un peu de tenue au chant et complexifient les mouvements.
Que ce soit pour faire pareil mais différemment (Kele) ou différemment mais pareil (Julian Casablancas), les chanteurs ont toujours eu ce besoin de s’échapper. Ego mal placé ? Impression trompeuse que le succès (et la personnalité) ne relève que de leurs harmonies vocales ? Goût pour la liberté ? Le résultat se solde souvent par un échec qui implique au pire des regrets au mieux un retour au bercail. J’aime ainsi voir dans « The Wild Trapeze », l’illustration d’un homme qui a besoin de se faire peur, qui a besoin de draguer d’autres filles pour s’assurer qu’au fond il n’y a bien que sa femme qui compte. La conclusion un peu douce-amère de cette échappée sera sûrement que certes Incubus n’est pas la plus intense des histoires mais que c’est son histoire. Pas quelque chose de transcendant mais quelque chose dont il faut se contenter sans honte.
Alors que chacune des deux parties de mon couple s’activait derrière son ordinateur, Mme Playlist Society commença à me dévisager d’un air incrédule et me demanda pourquoi diantre étions-nous entrain d’écouter le nouvel album de Bon Jovi et s’il me serait possible de jeter le dit disque à la poubelle. Pour ne pas perdre la face, je ne lui ai pas dit qu’il s’agissait de l’album solo du frontman d’un groupe qui avait marqué mon adolescence. Non j’ai baissé la tête, j’ai souri de mes lèvres blessées et d’une main tremblante je me suis exécuté.
– Pfff, c’était encore pire qu’à l’époque des solos hard rock
– Oui mon amour tu as raison…
Note : 2,5/10