Au sein de la malédiction acouphénique où les enceintes scéniques se transforment en ombres plus inquiétantes que celles de mes pires cauchemars d’enfant, les opportunités d’assister à des prestations acoustiques sont toujours vécues comme la plus salvatrice des compensations. Signé chez No Format à l’occasion de la sortie de son « Swansongs » – l’album est prévu pour Octobre et j’y reviendrai plus longuement – Chocolate Genius Inc était jeudi (et vendredi) dernier dans ce salon d’une vingtaine de mètre carré qu’abrite les studios Soyouz. Dans une configuration duo (guitare acoustique + guitare électrique ou piano + guitare électrique), Marc Anthony Thompson était accompagné de Sébastien Martel (le guitariste omniscient de M, Alain Chamfort, et surtout de son projet Las Ondas Marteles) afin d’interpréter quelques un de ses nouveaux titres.
Malgré, ou plutôt à cause de l’intimité, il n’est pas nécessaire de sourire, de prendre des gants, il s’agit juste de profiter de la suspension. Dès « She Smiles » et encore plus sur « Enough For You », la quintessence des chansons éclate. Parfois lestées sur disque par des instrumentations sensées donner de la consistance, les morceaux se dévoilent autrement ici : ils sont plus humbles, plus respectueux et laissent la place suffisante pour que la voix de Marc Anthony Thompson se déploie. Oui seul compte cette voix – même les cordes en nylon pourraient se rompre que l’émotion n’en serait pas affectée – cette voix qui raconte le passé, qui prolonge la posture classieuse du corps et qui extrait du subconscient les souvenirs douloureux, qui raconte la famille et ce père seul face au Healthcare américain (« Sit & Spin »). Le chapeau, le costume sombre disparaissent sur la version au piano de « Like A Nurse ». De la sobriété dans la mise à nue.
On est happé par cette époque où la foule se reflétait dans les miroirs. Sur « My mom » (seul titre de la soirée à ne pas être issu de « Swansongs »), le temps passe mais l’odeur de la maison reste la même : malgré la tragédie, il s’agit toujours d’un repère, voir du repère. La manière dont Marc Anthony Thompson parle de sa mère, de la vieillesse, de la maladie en l’imageant avec ces gestes universels, avec ces baisers derrière l’oreille, s’inscrit en chacun de nous. J’ai pensé à ma grand-mère qui a Alzheimer, à son salon dont le moindre bibelot n’a pas bougé depuis dix ans, à ce piano qui n’a plus été touché depuis des siècles, j’ai pensé à la peine que devait ressentir ma mère, j’ai été triste, j’ai regardé Jean-Sebastien et j’ai fait semblant de sourire parce qu’il y avait presque une culpabilité à se sentir si impliqué en si peu de temps, à passer du rire aux larmes comme un enfant de cinq ans. Trente minutes plus tôt, on se racontait les choses importantes de l’instant qui venaient tout juste d’être réduites à de vulgaires banalités superficielles. On était là, je me sentais soudainement un peu médiocre, et comme souvent dans ces cas là, j’ai bêtement opté pour le sourire.
Les lumières ne se sont pas rallumées, il n’y avait pas de mise en scène, juste une note de piano qui s’est prolongée un peu avant de s’affaiblir et de mourir. L’histoire d’une vie.
Note : 8/10
>> Photo d’illustration : JS de GoodKarma