Le changement est une notion qui crée toujours chez moi un certain malaise ; d’un côté la peur préventive de détruire inutilement ce qui a été si durement crée, de l’autre la conscience que l’évolution et la remise en question sont toujours nécessaires. Changer ou ne pas changer. Peut-on considérer qu’il y ait un point à atteindre et qu’une fois la position acquise, il faille se résigner à s’y cantonner ? Car si le changement est bon, ne devient-il pas vain et capricieux lorsqu’on avait enfin trouvé ce que l’on recherchait ?
Sur « Recitation », Envy tranche dans le vif et décide de ne pas évoluer pas d’un Iota en livrant une suite logée dans le même moule que « Insomniac Doze » et « Abyssal » ; ou comment trois albums successifs deviennent un unique album à trois faces. On n’aurait pu penser que le split avec Jesu en 2008 et l’incursion de sonorités électroniques changeraient la donne, mais il n’en est plus que rien. On pourrait ne pas s’en étonner et se dire que les groupes issus du métal et du hardcore sont souvent ceux qui ont les plus grandes difficultés à sortir de leur sphère et à casser les codes d’un style auquel ils doivent tout. On pourrait, mais non seulement Envy a déjà prouvé par le passé ses capacités à se réinventer mais qui plus est, il n’est tout simplement pas un groupe qu’on enferme et qui s’enferme. Chez les Japonais, tout est pensé, analysé et conceptualisé et le choix de rester clouté sur ses bases relève bien plus d’une prise de position que d’un comportement passéiste.
Toujours chez Rock Action, Envy continue donc inlassablement de mélanger ses origines screamo et hardcore avec le tempérament des constructions de Mogwai. Mogwai, dont il est question sur tous les titres, à toutes les secondes ; Mogwai qui se fait même parfois foudroyer puis transmuter par les cris de Tetsuya Fukagawa mais que le son des guitares ramènent toujours sur le devant de la scène. Il ne s’agit donc pas de changer mais d’approfondir, de faire strictement pareil mais avec un niveau de finesse et de dextérité accrue et de produire des mélodies encore plus mémorables.
Schématiquement tout se cale sur le « Scene » de 2006, « Last Hours Of Eternity » comme « Worn Heels And The Hands We Hold » se décompose en une lente montée en puissance parsemée de spoken word puis en un puissant râle où les guitares continuent de raconter une histoire, une histoire rythmée par la frappe sourde et minimaliste de la batterie. Parfois le mur prend des allures d’édifices shoegaze (« Rain Clouds Running In A Holy Night »), parfois les souvenirs remontent à la surface et rappellent les origines emo proches de Thursday (« Dreams Coming To An End »), parfois les informations tournent en fond comme chez From Monument To Masses (« Pierces Of The Moon I Weaved »), mais Dairoku Seki a beau varier son jeu, on sait très bien de quelle beauté il s’agit.
Il serait aisé de conclure que le mélange hardcore & post rock débouche inévitablement sur du post-hardcore pur jus mais l’affiliation entre Envy et des groupes comme Cult Of Luna et Isis n’est jamais sensoriellement implicite (bien qu’elle soit toujours musicalement légitime). Il y a chez les Japonais une aisance avec les ambiances qui les emmènent toujours ailleurs. En sachant apprivoiser son image alternative, Mogwai a plus que jamais trouvé un alter ego en termes d’intensité.
Note : 8/10
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