[ATTENTION SPOILERS] De manière similaire à la réduction du laps de temps qui sépare l’innovation technologique de son application économique, la durée nécessaire à la prise de recul qui se devait de séparer l’Evénement de l’analyse de celui-ci a volé en éclat. Les films historiques traitent maintenant des guerres et des catastrophes naturelles de l’an passé tandis que les biographies se doivent d’être un reflet immédiat des figures du moment. Dans cette configuration, focalisés que nous étions sur ce logo bleu et blanc, nous en voulions un peu à David Fincher de se jeter dans la gueule du loup au risque de subir le même traitement que toutes ces tentatives hasardeuses de réaliser des films sur les réseaux virtuels en soulignant grossièrement les dangers qu’ils véhiculent. Sceptique est le monde. Non seulement David Fincher ne nous sert jamais de discours éculé sur Big Brother et sur la vente des données personnelles, mais plus encore il ne livre même pas un film sur « un phénomène contemporain » ou même un biopic oscarisable. Bien que référencé et documenté au point de pouvoir légitimement se prévaloir de l’étiquette si recherchée histoire vraie, « The Social Network » se détourne des codes au point de sortir même du classique grandeur et décadence. Ici il n’y aura pas de chute, et s’il y a ascension, ce n’est nullement dans le but de nous faire revivre l’american dream ou de dévoiler l’homme qui se cache derrière l’icône. Non il s’agit d’un film classique (dans le sens noble du terme) dans sa forme mais finalement assez inattendu dans son fond.
The Social Network n’est pas un film générationnel, c’est un film placé dans un contexte générationnel qui met en exergue les sentiments qui sont si souvent à l’origine des grands projets. Le postulat de départ comme quoi Mark Zuckerberg aurait inventé Facebook dans le simple but de se venger de la femme qui venait de le quitter (la vengeance étant bien évidemment le masque du souhait de reconquête) est, sous ses airs romantico-naïfs, l’angle d’attaque le plus pertinent. D’une manière ou d’une autre, on fait toujours les choses pour prouver quelque chose à quelqu’un. Parfois il s’agit d’un besoin de reconnaissance, parfois d’une lacune d’amour, d’autre fois de la nécessité de résolver un traumatisme passé, mais dans tous les cas il y a ce désir de gagner la bataille contre son père, son frère, son ex… gagner tout comme se venger se traduisant par tout autre chose. J’aurai beau prétendre que Playlist Society ne fut motivé que par ma passion pour la musique et mon besoin d’écriture, il n’en reste pas moins une réponse primaire à ma séparation avec Elise. En termes de réactions émotionnelles, nous sommes définitivement tous de grands enfants.
Il serait alors absurde de voir dans « The Social Network » une énième variation sur le contraste entre l’imposante réussite d’un homme et la solitude qui l’accompagne, le tout agrémenté du pesant L’argent ne fait pas le bonheur. Tout d’abord, la recherche du bonheur est quelque chose de secondaire pour Mark Zuckerberg (le personnage) ou du moins il ne la conceptualise pas en tant que telle, deuxièmement ce serait faire preuve d’une pensée monolithique que de corréler de fait bonheur et nécessité d’avoir des amis. La seule nécessité ici est de laver l’affront et de voir l’être qu’on a aimé se prosterner. C’est puéril, contestable mais une fois de plus terriblement humain, car dans se prosterner il y a surtout aimer à nouveau et ce aveuglément. Ce qui est tragique, c’est que tout dessein de ce type est condamné, de par sa nature malsaine, à échouer.
Mark Zuckerberg n’est pas intéressé par l’argent, il ne recherche que la prosternation et tout « The Social Network » repose sur le brillant concept d’un homme qui ne réussissant pas à évoluer sur le référentiel de son milieu va décider de casser ce référentiel et d’en créer un nouveau dont il serait le maitre. Psychologiquement Mark Zuckerberg est sujet à l’inversion des valeurs de l’échelle sociale – ce phénomène où l’on survit en se persuadant que tous les autres sont méprisables et que l’on est le seul à être intrinsèquement digne des regards – qui aura su matérialiser sa vision dans le monde réel. La fin du film, lorsqu’il envoie une demande d’ami à Erica et qu’il reste derrière son ordinateur à cliquer sur actualiser, ne cherche pas à insinuer avec de grands sabots qu’il est désormais prisonnier du système qu’il a crée mais bien que ce système à échouer et que l’échelle des valeurs sociales a inévitablement fini par retrouver sa posture. Si l’on s’en tient à une analyse objectifs/résultats, Facebook est un échec total, non pas en tant que recherche du bonheur mais juste en terme de non réalisation de l’objectif fixé.
A sujet identique, avec un réalisateur différent, « The Social Network » aurait pu être une sacrée farce pleine de guimauve, mais ici la réalisation soignée, les quelques envolées techniques (on sent que David Fincher a parfois du mal à retenir sa maestria visuelle et que certaines scènes comme celle de la course d’avirons avec les frères Winklevoss ne sont là que pour l’apaiser et contrebalancer la retenue du reste) et la bande originale de Trent Reznor et Atticus Ross confèrent le cadre nécessaire à la mise en place d’une vraie tragédie. Ainsi même si le film patauge parfois sous la pesanteur de sa construction centrée autour des deux procès (souvent les scènes les moins réussies du film) et qu’il s’enlise à quelques reprises dans un humour de contexte superflu (les trois jeunes à la sortie de la conférence de Bill Gates), il n’en reste pas moins une œuvre qui ne fonctionne que sur des dialogues tout en donnant l’impression au spectateur d’assister à un grand film d’action à l’américaine (sans être péjoratif).
D’un sujet qui concerne aujourd’hui quasiment tout le monde, David Fincher fait un film plutôt personnel où le traitement de la solitude humaine en tant que fait et non en tant que problème reste le leitmotiv. Tous les personnages de Fincher vivent en dehors de la société, et ce que ce soit pour des raisons psychologiques (Seven & Fight Club), physiques (Alien 3 & Panic Room), sociales (The Game), médicales (Benjamin Buton) ou encore historiques (Zodiac), et Mark Zuckerberg ne fait alors que venir consolider une filmographie déjà étonnement cohérente.
Note : 7,5/10
>> A lire également, la critique de Nicolas Gilli sur la Filmosphère, la critique de Sandra.M sur In The Mood For Cinema, la critique de FredP sur MyScreens, la critique de Mathis sur Plan-c, la critique de Nicolinux et la critique de Francky 01 sur Musiks et Culture
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