Signé chez Humty Dumpty Records, le label belge à qui on doit également le délicat « And Night Arrives in One Gigantic Step » de Boy & The Echo Choir, Carl dessine la carte de la chanson francophone. Mais au lieu de compartimenter, de tracer des lignes, il crée des frontières communes à des pays qui se croyaient depuis toujours différents. Il rajoute des routes, dresse des ponts et met en exergue une vérité géographique : de par le poids des mots, chanson française, slam, hip hop et rock ne sont bien que les départements d’un même pays. Pas étonnant dès lors de découvrir cette famille recomposée où Ferré joue de l’accordéon avec Java, où les mots de Dominique A rigolent sous les blagues de Katherine, et où Arm se déride.
De Arm et de Psykick LyriKah, il est souvent question ici. Car si le premier se veut intransigeant et frontal, Karl en est le petit frère malicieux, un peu vulgaire, prêt à envahir l’ennemi dès que les premières barricades seront tombées. Sur « J’enregistre le bruit de ta machine », le langage de la machine à écrire devient celui de l’arme, chaque retour à la ligne imposant l’image d’un fusil à pompe que l’on recharge le tout appuyé par les notes cinématographiques d’un piano mélancolique. L’image est trop belle pour ne pas devenir une métaphore de cet album où les mots vont au combat. Ce n’est pas de la politique au travers des mots, mais de la politique par les mots, de la politique du désespoir où l’on rit jaune.
Parfois quand les guitares s’énervent alors que Carl déclame, récite et vit, on pense à « Dis pas ça » et la hargne de Lydie Salvayre résonne dans le creux des notes de Serge Teyssot-Gay. Le constat est souvent amer : amer « Mes amis », hymne trentenaire sur ces relations qui s’effilochent et sur ces gouffres qui se créent, amer car entre le « Mes amis vont mal et je les vois de moins en moins » et « Mes amis vont bien et je les vois de temps en temps », il n’y pas grand-chose, à peine plus qu’un verre à moitié vide contre un verre à moitié plein, et pourtant ce quelque-chose s’appelle peut être la résignation.
Même lorsqu’il fait appel à des images potaches, trop facilement cul, Carl se rattrape toujours à un mot, une phrase, une strophe qui souligne différemment le texte. Il y a une sincérité poignante dans cette mélancolie où mêmes les jeux de mots deviennent sérieux comme emplis d’un poids qui a un objectif tout autre que de tirer les commissures des lèvres (« 1000 visages ou une plage de sable »). Tout en restant affilié aux poètes « pouet pouet », Carl rigole sérieusement ou pleure avec joie. Il s’amuse sur « La pelouse », les beats hip hop deviennent ceux d’un club de province et le flow se couvre alors d’un désespoir houellebecquien (« Promenade »). On ne doute pas que Carl ait un certain plaisir à gâcher son plaisir. A chaque fois que le chemin est droit distinct, il remet les choses en causes et opte pour des chemins casse-gueule.
Malheureusement comme souvent chez les troublions lettrés de ce genre, on finit par se perdre entre éclair de lucidité poétique et trivialité où l’on se réchauffe contre des couilles de guimauve (« Le Chien »). Certes la problématique est connue par le parolier et sur « Silence » on peut imaginer qu’il se livre, qu’il dévoile ses défauts, ces mots qui ne sortent pas ou qui ne devraient pas sortir. « Ce qui vaut la peine de raconter c’est le biais » oui mais l’on regrettera que la phrase n’est pas été le mantra du disque.
Où poser des yeux ? Mes paupières sont des feuilles mortes si je cligne trop des yeux elles s’effritent. Oui, on ne sait pas où, mais ce qui est sûr c’est qu’il faut garder les yeux grands ouverts.
Note : 6,5/10
>> A lire également, la chronique de Mmarsup sur Little Reviews et l’article de Thomas sur Interlignage