Le 06 décembre 2010. Le Petit Cartouche était presque vide et plongé dans cette aura intimiste que seuls les lundis soirs peuvent encore offrir aux bistrots classieux de la capitale. Gaëtan Roussel avait du arriver le premier (ce n’est pas le genre à considérer que le statut légitime les retards) et il n’y eu pas lieu à ce moment de flottement habituel qui sépare le faux et le vrai début des réjouissances.
La première bouteille ouverte fut un « Bonhomme de Chenin », un vin blanc discrètement pétillant, sec et de bonne tenue minérale, un vin issu d’une terre travaillée avec humilité, sans désherbant chimique, en limitant les interventions technologiques et en ne cherchant jamais à maximiser les rendements du filon d’or. La symbolique était trop belle pour n’y voir qu’un hasard, car s’il y a quelqu’un en France qui a tracé en toute humilité son petit bonhomme de chemin – de Louise Attaque à Bashung, de Tarmac à Rachid Taha – en ne cherchant jamais à exploiter le succès, en préférant se laisser porter par les rencontres humaines plutôt que par des logiques carriéristes, c’est bien Gaëtan Roussel, un type qui n’est pas du tout du genre à disperser des produits toxiques sur le monde qui l’entoure.
Sans qu’il n’y fasse plus attention que ça, la symbolique semble ainsi jouer un rôle important dans la vie de Gaëtan Roussel : le jour où il rendra le mémoire finalisant son DESS d’urbanisme sera le même où il récupérera les premiers CD de Louise Attaque fraichement gravés – on dépose et on reprend, on finit une histoire pour en commencer une autre – et le reste de son parcours sera marqué par des apparitions qui sont fortes de sens (Gordon Gano) et des éloignements / rapprochements qui se seront toujours imbriqués naturellement comme si les envies menaient spontanément au bon chemin.
La première bouteille (la plus symbolique donc) n’aura évidemment été que la première d’une longue série. Il faut dire que sans la reprise de la tournée et le concert à Toulouse du lendemain, il n’y aurait eu que peu de raisons à ne pas rester là à parler du choix de ses collaborations, du travail avec Bashung, de la perception des médias de Louise Attaque et surtout du choix surprenant mais bien légitime de sortir « Ginger » sous son propre nom et non caché derrière un nom de groupe. Sur ce dernier point, il est vrai que le profil de Gaëtan Roussel aurait pu laisser supposer qu’il ne se mettrait jamais en avant, qu’il essaierait à tout prix de conserver cet anonymat où l’individu se fond dans l’entité. Mais à son contact, on réalise que son premier album solo est une continuité de son expérience de songwritter pour d’autres et qu’il y a une vraie volonté de cohérence dans ce souhait de ne pas brouiller les pistes, de ne pas mystifier qui il est. Il ne faut pas voir dans Gaëtan Roussel le nom d’une personne mais celle d’un collectif parfois solitaire parfois pluriel mais où le principal intéressé n’est pas sur un piédestal mais en parfait équilibre avec ses compagnons.
Parce qu’il ne se place jamais au-dessus, ni avec ses musiciens donc, ni avec ses interlocuteurs, c’est un type avec qui on se sent à l’aise, à qui on n’hésite pas de dire que l’affection qu’on a pour Louise Attaque est liée à une certaine période de vie et qu’à nos yeux les trois albums n’auront jamais l’aura et l’impact sur la musique de « Bleu Pétrole » (classique opposition entre attachement subjectif lié à des périodes de nos vies et mise en perspective objective de l’œuvre dans son univers). Oui on aurait pu rester longtemps là avec les amis Jean-Sebastien, Julien et Anthony et dans un sens c’est un peu ce qu’on a fait.
>> A lire également, la critique de “Ginger” de Laurent sur Esprits Critiques et la même rencontre vue par Julien LL sur Des Chibres et des Lettres