Kristin Hersh est une Dame, de celle qui chaperonne tout en offrant aux suiveurs l’épanouissement. Elle ne s’adapte pas au monde, c’est le monde qui s’adapte à elle. Elle ne fait pas d’esclandre, pas de grandes annonces, mais à 44 ans peu de gens ont aussi bien compris l’industrie dans laquelle nous vivons. Elle anticipe les modes de consommations futurs tout en inscrivant toujours sa musique dans les lieux boisés de son passé. Moins médiatisée que Trent Reznor ou Radiohead, elle fut l’une des première à commercialiser ses chansons en MP3, à concrétiser le rêve utopiste où chacun achèterait les albums selon le prix qu’il a fixé, puis toujours avec 50FootWave poursuivit ses idées jusqu’à l’EP gratuit. Elle fait partie des rares artistes à se servir intelligemment du média blog et à y préférer la transparence à la manipulation et aura été pionnière dans le concept des interactions avec le public avec ses Works in Progress. Avec un tel profil, pas étonnant que tout cela ait débouché en 2007 sur la création de Cash Music, un software open source destiné à accompagner les artistes dans la promotion de leur musique.
Toujours dans un souci de rester elle-même musicalement parlant tout en cherchant de nouveau moyen de s’exposer, Kristin Hersh sort « Crooked » son nouvel album sous la forme d’un livre qui regroupe photos d’art, paroles des chansons et les premiers extraits de « Paradoxical Undressing » son roman qui sortira lui dans les mois à venir et qui exhumera les années Throwing Muses. Les codes inscrits dans le livre permettront là encore de garder le contact, d’obtenir des versions inédites ou encore d’écouter les remixes réalisés par les autres fidèles. Tout chez elle est fait pour nous ouvrir la porte, pour pénétrer son âme et donc sa musique. Il n’y pas de tabou, que des témoignages poignants sur la bipolarité, les médocs, la drogue, la perte de la garde de son premier enfant.
Face à un si bel objet, deux cas de figures prévalent : soit le contenu est tellement exceptionnel que le contenant se doit d’assurer sa diffusion, soit au contraire le contenant est à lui seul un concept que l’album vient mollement illustrer. Evidemment Kristin Hersh, ne fait rien comme tout le monde et « Crooked » est une double-création dont les deux parties sont dépendantes comme deux frères siamois que la science ne séparera qu’après que leur future autonomie ait été assurée.
A partir d’une matière première toujours identique, Kristin Hersh travaille comme un artisan amoureux et rigoureux ; rien ne dépasse, pour le meilleur et pour le pire. Tout en retenue, le temps n’a plus d’importance, les semaines sont des jours, il n’y a plus besoin de repère, pas de refrain, pas de couplet, juste une guitare qui chuchote, qui parle, qui crie et qui hurle (« Moan »). Bien que discrètes, les finitions, ici les arrangements, n’en sont pas moins parfaites. Comme toujours chez elle, il y a un vrai sens de la perfection et de l’humilité (« Krait »). Certes on sent que les mains ont pris certains automatisme et, ici ou là, on croira reconnaitre un enchainement de notes piqué soit sur un album précédent soit chez les Throwwing Muse (« Coals ») mais il suffit d’écouter le titre qui vole son nom à l’album pour saisir qu’il n’est pas question de recyclage mais d’uniformité de l’œuvre et de nécessité de permettre aux chansons de se répondre entre elles.
Là où PJ Harvey rendu les armes, Kristin Hersh continue de défendre une certaine idée de la rugosité (« Sand ») pleine de mélodies post grunge rageuses, pas si éloignées de ce qu’aurait pu devenir Hole si la corruption n’avait pas effouffé Courtney Love (« Mississippi Kite »). On pourrait croire qu’elle finirait par se lasser, mais la passion est pure ! Les riffs savoureux comme celui de « Glass » continueront de résonner encore longtemps.
Album de guitares où Kristin Hersh se retrouve souvent seule avec sa six cordes, « Crooked » est à la fois très intimiste et très bruyant. Cela pourrait être un testament mais ce n’est qu’une étape supplémentaire ; et 50FootWave sortira prochainement un nouvel EP intitulé « With Love From The Men’s Room » en forme d’hommage à Vic Chesnutt.
Note : 7/10