INCENDIES de Denis Villeneuve
Sortie le 12 janvier 2011 - durée : 02h03min
« Incendies » est n’est pas une collision entre le théâtre de Wajdi Mouawad et le cinéma de Denis Villeneuve mais une imbrication complexe fondée sur les mantras de chacun de ses pères. Il en résulte une tragédie familiale enchaînée à l’Histoire dont la principale qualité est que chacune de ses deux principales thématiques (le drame personnel et le drame mondial) fonctionnent à la fois avec et sans l’autre, à l’image des parcours de ses deux personnages principaux. D’un côté il y a le passé de Nawal Marwan, son combat, ses déchirements et son pays qui s’écroule, de l’autre il y a sa fille Jeanne Marwan qui trente ans plus tard marche sur les traces du passé de sa mère en portant ses blessures et le poids de la quête personnelle à accomplir. Pris séparément chacune des histoires fonctionnent déjà très bien sur un registre pourtant très différent (production haletante pour la première, film touristique contemplatif pour la seconde) ; mises ensemble, elles débouchent sur une globalisation universelle des enjeux qui tiendra en haleine du début à la fin. Pendant de brefs (mais essentiels) instants nous ne savons plus où nous sommes, dans quelle époque nous évoluons. Suivons-nous Nawal ou Jeanne ? Sommes-nous dans le macro ou dans le micro ? Les images se superposent, le flou s’étend, tout s’imbrique.
Il n’y a pas d’histoire d’amour à proprement dit dans « Incendies », il n’y a que des passions filiales : l’amour d’une mère pour ses enfants, l’amour de deux jumeaux l’un pour l’autre… l’étreinte entre Jeanne et Simon dans la piscine en dit bien plus en termes d’intensité affective que la plus part des romances. Le film ne traite que de ce qu’on est destiné à aimer à la naissance : son fils, son pays, son Dieu ; et de ce qu’il advient lorsqu’il est au dessus de nos forces de s’en tenir à ce qui avait été décidé. Oui il parle de cette escalade dans la violence, de ces actions qui en impliquent d’autres, de ce chaos qui est généré à la fois au niveau humain et au niveau des nations et de comment enrayer le cycle.
Quelques soient ses enjeux propres, « Incendies » se veut avant tout être un film universel non spécifique aux problématiques de son milieu : l’histoire se passe dans un pays imaginaire du Proche-Orient ou du Moyen-Orient, quelque part entre le Liban et la Jordanie ; la religion musulmane et le christianisme y sont juste évoqués comme l’un des nombreux visages des guerres que ce livrent toujours les peuples entre eux ; les dominos tombent indépendamment de toute temporalité historique ; et le tout finit sur un cri shakespearien de Jeanne puisant sa puissance dramaturgique dans le théâtre et glaçant le sang à travers l’obscurité du cinéma. Oui si elle ne respecte pas les règles théâtrales, cette tragédie n’en est pas moins universelle et transposable dans tout contexte.
Lubna Azabal y interprète une figure moderne tragique perdue entre trop de conflits internes et externes. Une nouvelle dualité que l’on retrouve encore dans l’alternance entre les ballades méditatives, bercées par Radiohead, au sein des vestiges et de la somptueuse nature, et les scènes d’une violence inouïe où tous les sentiments se regroupent (cf l’halletante et angoissante scène du bus).
On pourrait reprocher à Denis Villeneuve de trop souvent contraster la sobriété de sa réalisation par de nombreuses effusions émotionnelles, mais celles-ci sont muées par une telle sincérité mise au service du récit que les coutures disparaissent. « Incendies » ne cherche ainsi pas dans ses derniers instants à défendre des thèses humanistes mais juste à prendre appui sur son twist final pour emmener le spectateur du côté de la véracité des sentiments.
Note : 8,5/10