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MONDRIAN / DE STIJL (Au centre Pompidou)

Du 1er Décembre 2010 au 21 Mars 2011

Par Benjamin Fogel, le 23-02-2011
Arts

Tout commence par une anomalie, un décalage, quelque-chose d’inhabituel : l’exposition s’intitule Mondrian / De Stijl et met au même niveau un artiste et un mouvement sans autre séparation qu’un « / ». Il n’y a pas ici de notion d’imbrication ou d’interaction au point que ceux qui ne sont pas familier du courant seront amenés à penser qu’il s’agit d’une rétrospective liante entre deux artistes. Pourtant dès les premières pièces, on réalise que cette fantaisie n’a rien d’aléatoire et qu’elle est, elle-même, une représentation du message. Il s’agit avant tout de modifier les perceptions en mettant toutes les formes, tous les types et toutes les notions sur un même plan. La perspective disparait, seul reste cette nouvelle interprétation de l’essentiel ; artistes et courants cohabitent comme ligne noire et carré rouge.

Mais au-delà de la cohabitation conceptuelle, l’association Mondrian / De Stijl ne tarde pas à interroger. Outre la nécessité d’attirer par un nom les visiteurs, n’aurait-il pas été plus pertinent de se focaliser sur un diptyque Theo Van Doesburg / De Stijl ? Effectivement Mondrian a toujours gardé une certaine distance avec le mouvement De Stijl et si les affinités étaient implicites, il n’a jamais manifesté un engagement suprême, comme si au fond il voyait dans ce miroir déformant autant un rival qu’un allié. De la même manière qu’il serait un peu fallacieux d’intituler une retrospective Minor Threat / Straight Edge, on a vite l’impression que deux sujets sont mariés de force au détriment de l’amant passionné. Car si elle permet bien de faire découvrir des œuvres méconnues de Theo Van Doesburg, l’exposition en oublie parfois de mettre sous la plus belle lumière le véritable fondateur de De Stijl.

On se retrouve alors rapidement dans une succession de deux expositions distinctes comme si le « / » devenait le « puis » d’une union jamais consommée. Néanmoins, outre la déception liée au manque d’interaction entres les deux parties, celles-ci fonctionnent très bien séparément. Il faut alors juste faire soi même l’effort de transposition, séparer les influences qui s’appliquent partout de celles qui ne concernent que Mondrian. Si la vulgarisation de la théosophie reste un échec, l’entrée en matière avec les grilles divisionnistes de Lauweriks permet rapidement de décrypter les œuvres et de visualiser les découpages. Les arbres deviennent des lignes, l’architecture de la nature se dresse, formes et couleurs deviennent les plans de toutes les perceptions (« Bois près d’Oele »).

Les moments d’entre deux dans l’œuvre de Mondrian procurent les plus beaux moments d’émotion : « L’arbre gris », à mi chemin entre le fauvisme du passé et le cubisme à venir offre une compartimentation de l’espace qui n’a pas encore été vidé de son humanité. Il en va de même pour le « Portait de femme » ; quelque soit la distance parcourue grâce au néo plasticisme, cela reste un voyage qui nous a éloigné de nous même. Du coup Mondrian / De Stijl est souvent plus une exposition qui se lit plutôt qu’une exposition qui s’admire ; le plaisir réflexive prenant souvent le pas sur le plaisir visuel. On ne s’ennuie jamais mais l’on se détend rarement car c’est une histoire où ce que l’on a parcouru compte plus que là où on arrive.

C’est vraiment lorsqu’on prend conscience du temps qui passe, quand l’on repense à l’humanité, que l’on entre en résonnance avec les œuvres que les pièces s’illuminent : d’un côté la couleur primaire jaune, qui se fissure plus vite que le bleu et le rouge sur une des compositions de 1921 et qui porte un nouveau message, celui du soleil qui meurt, celui d’une partie de la nature qui s’éteint, de l’autre l’atelier de Mondrian habité des idées fantomatiques du maître.

Instinctivement on se retrouve à se sentir plus proche de De Stijl que de Mondrian (le sentiment de proximité n’étant pas forcément synonyme de meilleur). Entre l’intervention sur l’espace public et la quête de l’espace spatial, on tangue pour finalement tourner le dos au losange avec quatre lignes jaunes. Plus les années passent, plus les créations de Mondrian deviennent non pas les pièces d’un grand puzzle qui permettraient de reconstituer l’ensemble de son œuvre, mais les fragments d’une conception du monde où l’humain n’a plus sa place.

Guidé par la rythmique musicale des lignes noirs de différentes tailles, l’opposition manichéenne de “Composition A”, s’impose non pas comme une simplification mais comme un retour aux sources : on ne se focalise pas sur l’essentiel (toujours le meilleur moyen de perdre de vue les nuances) mais on redéfinit l’essentiel. Le néo plasticisme (mais en quelque sorte également le cubisme) impose l’affranchissement de la perspective et confère une importance prépondérante aux plans et aux formes géométriques. Des concepts qui résonnent étrangement dans notre monde où l’on fait grand cas de la « synthèse ».

Effectivement nous vivons une époque où la « synthèse » est partout, en particulier dans l’entreprise : la synthèse de texte est devenue une épreuve phare des concours aux grandes écoles, la pensée Power Point est le point d’encrage de tout projet, l’executive summary se substitue aux fastidieux rapports, et l’on nous annonce d’ores et déjà la « curation » comme la personnalisation du web 3.0. Et cette « synthèse » fait peur, car le terme nous rappelle tristement la simplification intellectuelle qui est le lot de notre quotidien mediatico-politique.

L’exposition Mondrian / De Stijl et les enseignements du néo plasticisme sont une occasion idéale de rappeler que le mot « synthèse » porte en lui un subtil double sens. D’un côté il y a bien cette volonté de s’attacher à une vue d’ensemble plus ou moins approximative, mais de l’autre il y a surtout cette envie de fusionner, de garder le meilleur de chaque élément ! Il y a une différence entre niveler et souligner et la quête de Mondrian expose une réflexion sur la juste utilisation des traits.

On repense alors à ce titre : Mondrian / De Stijl. Il y a dans cette mise sur un même plan du leader et du mouvement qui lui est affilié une volonté d’exhaustivité qui s’inscrit pourtant bien dans un esprit de synthèse. Fidèle aux préceptes du néo plasticisme, majeurs et mineurs (découlant des arts majeurs et des arts mineurs) fusionnent pour former un tout unique qui d’un seul bloc représente toute les facettes.

Michel Butor disait du tableau de Mondrian « Victor Boogie Woogie » : « Moulin qui transforme le vent en énergie nourricière, l’œuvre est en même temps antenne émettrice et interrogatrice » et c’est exactement de ça qu’il s’agit, la synthèse n’apporte pas de réponse mais elle donne des clefs pour alimenter et nos décisions raisonnées et nos instincts passionnels.

Note : 7,5/10