Dans une dimension parallèle il existe une Eddie Williamson guitariste dans un groupe de rock. Au lieu de passer ses années collège et lycée à lire des livres, faire ses devoirs et discuter jour et nuit sur MSN, cette Eddie aurait décidé d’économiser pour s’acheter, l’année de son entrée au lycée, sa première guitare électrique, une magnifique Yamaha, noire, évidemment, avec son ampli Marshall. Ses parents auraient pâli en voyant ce dernier et elle aurait sourit de plaisir en y branchant sa nouvelle meilleure amie. Quelques mois d’arrachages d’ongles plus tard elle se serait mise en quête de camarades de jeu et les difficultés auraient dès lors véritablement commencées.
C’est dur de vouloir être une rock-star. Être vraiment une rock-star. Revendiquer aimer le rock déjà, c’est pas facile. Sortir du placard, enfiler un Perfecto et un tee-shirt des Ramones, dans un lycée français, ce n’est pas une mince affaire. Je me demande à quoi ressemblait Cassie Ramone, membre des Vivian Girls et de The Babies, lors de ses années high school. Elle était probablement du genre super-timide à écouter des tonnes de disques dans sa chambre, avec les copines, elle formera les Vivian Girls quelques années plus tard. Et puis d’toute façon, le Nord de la France et le New Jersey aux Etats-Unis, c’est pas exactement la même chose. D’un côté l’on vénère Johnny, de l’autre Bruce Springsteen. Vous voyez la différence ? Était-elle du genre à braver les regards inquisiteurs de ses « camarades » insensibles à la violence orgasmique des Ramones ou à la beauté intemporelle de la twee pop qui faisait battre son petit coeur d’adolescente ?
Dans une dimension parallèle, mon Eddie n’aurait aucun complexe. Perfecto, boots, jeans skinny, vernis à ongles noir, la totale. Pas de lunettes noires, parce qu’il faut pas exagérer, et qu’elle trouve que Philippe Manoeuvre les a rendues complètement has-been. Il s’agit maintenant de trouver un groupe et c’est là que le bât blesse. Les Vivian Girls, Cassie et Katy Goodman, se sont rencontrées lors d’un concert de Weezer, alors qu’elles étaient à l’université. La jolie Frankie Rose les rejoindra plus tard. Après avoir prouvé leur valeur et fait les premières parties de Jay Reatard ou Sonic Youth, c’est un peu plus facile de s’acoquiner avec le gratin de la scène new-yorkaise.
The Babies est un side project de Cassie et d’un membre de Woods, un groupe lo-fi de Brooklyn. Cassie traîne aussi avec les filles de Mika Miko, Brilliant Colors, les mecs de Crystal Stilts, Woods, Male Bonding… C’est une scène musicale en pleine effervescence, l’émulation en son sein est tout bonnement passionnante. Le succès d’un groupe lui permet d’aider un autre à se faire connaître en en faisant leur première partie ou en les faisant signés sur les labels dont les proprios ont le même âge qu’eux. Ils sont potes, vont boire des coups ensemble, se retrouvent à jammer dans l’appartement de l’un et de temps en temps ça donne des side-projects.
Le problème pour mon Eddie imaginaire, c’est que de scène effervescente elle ne peut profiter. Il faudra qu’elle attende d’entrer à l’université, disons à Paris ou Lille, pour se rendre compte que son talent et sa dextérité manche à la main lui ouvriront les portes de garages de groupes amateurs aussi passionnés qu’elle. Les Vivian Girls ont eu la chance d’être repérées rapidement par les médias, même si cela leur joua quelques mauvais tours : un groupe de filles qui joue du rock, c’est encore quelque chose que les médias ont toujours du mal à appréhender, même s’il en existe depuis un demi-siècle, autrement qu’en leur collant l’étiquette « féministe ». Heureusement aujourd’hui, la seule étiquette qu’on semble poser sur le front de ses filles et de leurs side-projects, c’est celle d’une bande de jeunes rockeurs Américains qui enchaînent les bons morceaux à une vitesse ahurissante, parrainés par les Jay Retard, King Khan et compagnie.
L’album de The Babies me rend jalouse de cette Eddie d’une autre dimension. Je peux imaginer facilement toutes les étapes de sa création, du désir de Cassie et Kevin de bosser ensemble, de leurs soirées à réécouter des vieux albums des Wipers ou des Pixies, la découverte des textes de chacun, les séances de jam, les heures passées à enregistrer dans la cave de Kevin, le premier concert dans un bar de Brooklyn avec comme public tous les groupes cités précédemment…
Ce n’est pas l’album de l’année, c’est une collection de chansons plutôt bien équilibrée entre le rock nerveux de « Run Me Over » ou « Personality » et des morceaux plus mélodiques comme « All Things Come to Pass » qui rappelle des tas de groupes des années 60 dont je vous épargnerai l’énumération. Tout s’enchaîne, s’emboîte à merveille, et même si aucune chanson ne sort vraiment du lot, c’est un album dont je sais pertinemment qu’il m’accompagnera pendant des années. Il m’inspire, comme vous vous en êtes rendus compte, et je suis à peu près sûre que l’Eddie de l’autre dimension aurait adoré être Cassie Ramone. Même son nom déchire.
Note : 6/10