TRUE GRIT de Joel et Ethan Coen
Sortie le 23 février 2011 - durée : 02h05 min
En sortant, il se gratta la tête et comprit qu’il était un imbécile. Alors il décida de prêter l’oreille.
À quelques pas derrière lui, un vieux monsieur en gabardine, ancien proviseur de lycée privé ou quelque chose comme ça, adressait à son acolyte – un type deux fois moins vieux et deux fois plus petit, son fils ou son amant – ces quelques mots solennellement prononcés :
« Ah oui, vraiment c’est fordien. »
Fordien. Son cauchemar recommençait. Il avait vécu l’enfer en 1992, avec la sortie d’Impitoyable. S’était cru tiré d’affaire jusqu’en 2008 et le 3h10 pour Yuma de James Mangold. En avait voulu à Ed Harris pour un Appaloosa dont il avait pourtant goûté les déviants délices. Il ne savait pas ce que fordien pouvait bien vouloir dire, ou en tout cas pas tout à fait. Il savait que c’était lié aux westerns, mais il ne pigeait rien aux westerns. Quelques Sergio Leone et puis c’est tout. Pouvait-on prétendre aimer le western sur cette seule base léonienne ? Non, bien entendu. Mais il n’y pouvait rien. C’était au-dessus de ses forces. Il avait tant de fois trébuché sur Rio Bravo, La poursuite infernale, Coups de feu dans la Sierra. S’était essayé à tort à des variantes telles que le Mort ou vif de Sam Raimi. Avait laissé ses lacunes en jachère avant de tenter de nouveau de se faire une culture. Des références. Une sensibilité. Mais rien n’y faisait.
Seul Andrew Dominik, avec son Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, avait provoqué chez lui une véritable décharge électrique. Il s’était cru sauvé, avant de déchanter face aux assauts des fordiens, des vrais, intransigeants et tatoués, qui avaient tant raillé la lenteur prétendument esthétisante de ce qui se révélait au fond être un brillant anti-western. Anti-western : encore un terme sorti de nulle part, un pompeux néologisme destiné à éviter d’expliquer que les westerns, leur haute teneur en testostérone, leurs armes à feu faisant office de phallus de substitution, leur refus d’assumer leur fort potentiel crypto-gay. Crypto-gay. On ne s’en sortait pas. Les films étaient toujours les mêmes, mais les nouveaux qualificatifs affluaient, comme s’il était subitement devenu indispensable d’apposer des étiquettes un peu partout.
Lorsqu’il apprit que les frères Coen s’attaquaient au remake de Cent dollars pour un shérif, western réalisé par Henry Hathaway en 1969 d’après un roman paru l’année précédente, il ne put réprimer un frisson. À sa façon, No country for old men n’était-il pas déjà un western à la sauce Coen ? Grands espaces, personnages solitaires et mutiques, poursuites impitoyables et duels au soleil : l’univers de Cormac McCarthy leur avait justement permis de sortir du fameux carcan fordien et de sublimer un genre trop souvent écrasé par un imposant cahier des charges. Il s’était donc plongé dans ce True grit avec appétit, pensant les cinéastes à l’abri de la redite. Il n’avait pas tort et le regrettait presque.
Quelle que soit la véritable signification de cette appellation, True grit est un film typiquement fordien, et donc pas très coenien. Le film déploie un arsenal classique à base de longues épopées à cheval et de concours de circonférence testiculaire, le tout sous le regard empli de sagesse d’une petite fille digne et blessée. True grit est un spectacle parfaitement exécuté, d’une vraie beauté formelle, et ce jusque dans l’emploi de quelques fonds verts légèrement old school. À sa tête, Jeff Bridges confirme qu’il est l’un des plus grands acteurs de son temps, exploitant avec décontraction un personnage aussi alcoolisé que celui qui lui valut l’Oscar pour Crazy heart. Et c’est malheureusement à peu près tout. Rien ne dépasse de cette grande plaine s’étalant à perte de vue. True grit est un western sans faute et a même des allures de classique. Mais qu’il ne porte quasiment pas la patte Coen est le signe de sa relative inutilité.
« Ah oui, vraiment c’est fordien ». Les paroles du sexagénaire résonnaient encore en lui, et il comprit que lui-même ne serait jamais un fordien enthousiaste, qu’il resterait une cause perdue pour le western, et qu’au final il s’en fichait un peu. Il n’avait eu aucune envie de s’attacher à l’ennuyeuse héroïne de True grit, orpheline dont la mâchoire serrée rappelait celle qu’arborait en son temps le monolithique John Wayne. Il ne s’était pas pris de passion pour cette histoire de vengeance froide envers un abruti à mono-sourcil, incarné par un Josh Brolin excessif et un peu vain. Il comprenait bien que l’homme à la gabardine puisse être secoué par True grit, qu’une pléiade de cinéphiles rigoureux puisse être émue par ce nouveau retour en grâce du western. Mais lui restait indifférent, comme une poule devant un couteau.
Il se gratta l’oreille et comprit qu’il était un imbécile de n’avoir pas dit plus tôt adieu au western.
Note : 6/10