Il y a de ça plus de dix ans, maintenant, Jeff Mangum disparaissait sous le poids d’une célébrité relative, après une dépression et un concert inoubliable en Nouvelle-Zélande pour son ami Chris Knox. Avec son retour à la vie réelle, sans concerts, sans chansons, sans vénérations presque malsaines, le label qu’il avait fait de ses propres mains avec quelques amis s’effaçait aussi. Elephant 6, pachyderme pop et psychédélique, référence absolue et légendaire maintenant de ces années 90 lumineuses et féeriques.
Elephant 6, c’était bien sûr le chef-d’œuvre In The Aeroplane Over the Sea, sommet inégalable de spontanéité, achèvement final d’une musique faite sans technique mais avec talent, où les incantations jamais justes de Mangum accompagnaient les cuivres triomphants, Neutral Milk Hotel volait sur une mer de guitares punks et de sensibilité folk, vers un idéal qu’on appellerait plus tard « un album parfait ».
Elephant 6, c’était bien sûr les délires acidulés Robert Sneider et de ses Apples in Stereo. La pop la plus pure pour un résultat fardé, possédé et ouvertement dépassé. Comme des pommes d’amour trop sucrées, qui collent aux dents, mais que l’on continue d’acheter, non par habitude, mais par plaisir d’en avoir plein la bouche et de se lécher les lèvres de bonheur.
Elephant 6, c’était bien sûr les expérimentations déroutantes des Olivia Tremor Control et Circulatory System, qui, entre quelques vagues de bruits analogiques, faisaient émerger des mélodies majestueuses fédératrices. Ces deux groupes nageaient parfaitement entre deux eaux, créant des forêts de sons, où personne n’osera plus s’aventurer. Parce que personne ne réussira à découvrir de si belles clairières, où la lumière filtre entre les feuillages noirs.
Elephant 6 s’est peu à peu délité. Quelques réminiscences via Orange Twin et Cloud Recordings, mais rien ne rallume la flamme d’antan. Pas de « c’était mieux avant », non. Mais juste que cette parenthèse dorée d’Athens, Georgia, s’est refermée. Et avec elle, toute une musique basée sur la simplicité et la spontanéité s’est évaporée dans une ère nouvelle, numérique et électronique.
Jusqu’à ce dernier matin, où est arrivé le nouvel album de Danielson. Cinq ans après l’inoubliable « Ships », vaisseau antédiluvien qui réapparaissait d’une brume de couleur arc-en-ciel, avec dans ses cales beaucoup de foi et de conviction, pour convertir les nouvelles générations. Danielson débarque, le regard fier et des idées plein les poches, pour sauver une pop de plus en plus moribonde, défendue seulement par un charme toujours éphémère. Il y a dans la musique de Danielson l’évidence et la folie douce des Magnetic Fields, mais il y a surtout des certitudes. Non pas une prétention qui imposerait le groupe comme la nouvelle référence lo-fi, mais juste la conviction que leur musique vient d’un aéroplane au-dessus de la mer, volant loin au-dessus de nuages. Ce vaisseau, une fois de plus, a surgi de la brume. Il ne flottait pas mais volait, et il apportait la bonne nouvelle : Elephant 6 n’est finalement peut-être pas mort.
Les idées de Danielson sont les convictions d’antan d’Elephant 6. Danielson sait qu’on peut émouvoir en chantant faux, qu’on peut dégouliner tout en restant noble, valser de bonheur sans jamais être ridicule. Les membres de Danielson, derrière la casquette de capitaine de Daniel Christopher Smith sortent Best of Gloucester County sur Sounds Familyre en cette année 2011 ; ils soufflent sur les cendres d’Elephant 6, et l’on se prend à les voir rougir à nouveau.
Note : 7,5/10
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