Ceux qui nous suivent régulièrement ont pu constater que je ne manque jamais une occasion pour poser des éloges à propos de Christoph Berg, baptisé artistiquement Field Rotation. L’Allemand est un virtuose, ni plus ni moins. Que ce soit lorsqu’il compose des oeuvres électro-acoustiques terrassantes de beauté (Licht Und Schatten déjà sur Fluid Audio et chroniqué ici), du drone ambient aussi abstrait qu’enveloppant (Why Things Are Differentchez Hibernate, chroniqué ici) ou des fusions plus électroniques avec Aes Dana sur le label Ultimae. Son tant et tant attendu véritable premier album est enfin arrivé. Nos oreilles peuvent désormais prétendre à l’orgasme.
Si le piano est cette fois-ci moins mis en avant que sur les travaux précédents, Berg a su une nouvelle fois fusionner ses diverses influences avec la maestria des grands. Sur le premier Acoustic Tale d’introduction, ses drones se noient dans les notes d’orgue et des expérimentations qui se rapprochent des musiques concrètes. Celui qui est également violoniste témoigne magistralement de son amour démesuré pour les cordes, plus particulièrement lorsqu’elles sont caressées par des crins. Le violon est donc omniprésent. Il s’adjoint même les services d’une harpe et du violoncelle d’une autre très grosse pointure en la personne de Danny Norbury (Acoustic Tale 4). Devant cette brume glitchée et magnétique apparaît un sens inné du romantisme, à la fois intimiste et débridé. Bien que moins accessible que Licht Und Schatten, Acoustic Tales n’en est pas moins beau à pleurer.L’Allemand fait partie de ceux qui ont compris que les ordinateurs pouvaient les aider à transcender les limites techniques et technologiques de la composition classique. Pour une fois néanmoins, les machines ont l’humilité de se placer au second plan, laissant aux instruments la digne place qui leur est due. Si les mélomanes avertis trouveront dans la démarche délibérément romantique et mélancolique de l’Allemand des éléments de filiation avec un illustre compositeur russe qui a composé des Sonates pour Violoncelles, ils seront donc peu surpris de l’hommage vibrant rendu au maître pianiste Sergueï Rachmaninoff sur le sublime Acoustic Tale 8. Un autre hommage est rendu à un génie pratiquant la langue de Goethe, le slovaque Franz Kafka a inspiré Acoustic Tale 7, où le mode mineur et la dramaturgie qui l’accompagne renvoie si bien au déracinement et aux atmosphères cauchemardesques de l’écrivain. Nous, vulgaires francophones, sommes susceptibles de voir apparaître le fantôme de Jacques Brel, bouillonnant d’envie de lâcher La chanson des vieux amants au second plan des Acoustic Tales 5 ou 10. Mais la musique de Field Rotation est déjà bien assez belle comme ça, inutile d’y rajouter des pleurs scandés même magnifiques, qu’ils viennent du plat pays ou des territoires décharnés d’Europe de l’est.
Les mots manquent souvent pour exprimer tant de beauté. A l’écoute d’une telle oeuvre, le moindre mot apparaît comme un parasite. Je ne peux donc vous proposer que de plonger dans cette oeuvre électro-acoustique géniale et bouleversante, atypique et inétiquetable. Si Godspeed You! Black Emperor avait dû faire ce genre de sons, nul doute que ça aurait ressembler à ce que compose Christoph Berg. Voilà, pour donner un peu plus envie aux puristes inspirés de tenter d’acquérir la version physique et son superbe digipack en s’adressant à Fluid Audio, qui distribue ce joyau à… 200 exemplaires.
Note : 8,5/10