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MA PART DU GÂTEAU de Cédric Klapish

Sortie le 16 mars 2011 - durée : 1h49min

Par Benjamin Fogel, le 30-03-2011
Cinéma et Séries

[ATTENTION SPOILERS] « Ma part du gâteau » n’est pas un film, c’est un tract fallacieux qui se complait à synthétiser les problèmes du capitalisme moderne dans de malheureuses phrases toutes faîtes : il ne s’agit pas ici d’analyser ou de comprendre mais de multiplier les sophismes et les démonstrations par la simplification pour accroitre son électorat. C’est une série de punch lines écrites par un communiquant doctorant en manipulation de la souffrance humaine.

Toutes les scènes sont au service des clichés que colportent le film et d’un manichéisme crétin dont les intentions ne se logent pas dans celles du conte social mais bien dans l’argumentaire politique. Ceux qui manquent de ressources financières détiennent forcément de par leur saine naïveté une philosophie de vie au dessus de tout soupçon (« Votre fils vaut bien plus que de l’argent » et autres vérités vraies) – caution philosophique qui rendra la fin d’autant plus insupportable. Au contraire, les méchants sont eux ici très très méchants : non contents de faire le mal au sein de leur vie professionnelle et de ruiner des vies, ce sont également des immondices dans leur vie personnelle qui traitent les femmes comme des putes et leur entourage comme de la merde. Les traders, contrairement à de nombreux méchants des sphères du pouvoir, auraient au moins chez Klapish le bon goût d’avancer à visage découvert.

Après avoir exploité jusqu’à la moelle toutes les images (l’héroïne s’appelle France, le méchant se nomme Stéphane mais on l’appelle Steven comme tout français qui est passé du coté de l’ennemi ; oui parce qu’ici finance = multinationale = anglo-saxons) et autres métaphores pleines de bon sens destinées à déplacer le débat (la mare aux canards et la répartition des richesses), « Ma part du gâteau » débouche sur une fin qui se place en opposition avec les finals hollywoodiens (ô miracle il ne s’agissait pas d’une histoire d’amour pleine de revirements psychologiques – ce que au fond on aurait peut-être préféré ; le vain étant toujours moins pire que le nocif). Effectivement dans son dernier quart d’heure, le film bascule du côté de la révolte sociale, mais non pas une révolte contre le système, non une révolte contre l’homme (Steven donc) transfiguré en incarnation de tous les maux. Le film glisse alors dangereusement du côté de la glorification de la vengeance du peuple, de la lapidation sur la place publique sans procès, et surtout comble du malaise vers le sacrifice de ses valeurs à l’aune du jugement hâtif (kidnapper un gamin – seul être innocent de l’histoire balloté entre ses parents – et s’assurer qu’il assiste au cassage en règle de son père).

On aurait apprécié que le film montre combien la folie d’un monde (celui de la finance) use les gens et les détruit au point que la folie déteigne sur eux. Peut-on répondre à la folie par autre chose que la folie ? Voilà ce qu’il aurait fallu se poser comme question plutôt que d’encenser bêtement les actions collectives qui tapent sur les mauvaises cibles. Car oui, et c’est le problème fondamental de « Ma part du gâteau », à force de simplifier le discours, le film se trompe complètement de cible et joue la carte de la stigmatisation du bouc-émissaire. En identifiant Steven comme Le Responsable, le film donne l’impression de cautionner le système. « Ne vous inquiétez pas braves gens, le système en lui même fonctionne très bien ! Le vrai problème réside dans la nature des personnes qui sont à sa tête ! » semble-t-il nous dire. Un discours qu’on retrouve beaucoup en politique où il est toujours plus facile de remettre en cause les hommes que de s’attaquer aux fondements. Encore une fois, la révolte se doit d’attaquer le système et non de désigner arbitrairement des coupables sans chercher à comprendre les tenants et les aboutissants. N’oublions pas que nous vivons bien dans un monde où l’on a réussi à faire croire aux gens que Jérôme Kerviel était le seul responsable et qu’il n’y avait pas de faille dans le système ! Bien que plein de naïveté, il est néanmoins sensé d’attendre que les ambitions du cinéma aillent au-delà de la manipulation politique qu’on nous ressort à longueur de temps ! D’ailleurs on rigole doucement de voir combien Cédric Klapish évite soigneusement la question du rôle de l’état (en fait il ignore également celle de l’entreprise comme si les hedge fund étaient les seuls acteurs de la mise à mort).

Il n’y a que deux phrases intelligentes dans « Ma part du gâteau » : celle où Steven explique combien le principe de shorter des actions est fou, et celle où il dit qu’il ne peut pas être le seul responsable de la situation des gens. Malheureusement, la première n’est jamais développée et est noyée dans le discours contre la finance tandis que la seconde est présentée comme un argument félon destiné à permettre au personnage de Gilles Lelouch de s’extraire de la justice punitive. On repense alors à la pédagogie de « Cendrillon », roman de Eric Reinhardt, qui sans jamais alourdir son histoire, vulgarisait les aberrations du monde de la finance et la nécessité de contrôler le monstre, et on reste coi devant ce film qui mélange le « je » et l’entreprise.

Pour le reste, il faut voir le mépris avec lequel est traité le désespoir et comment la tentative de suicide d’une mère de trois enfants devient une anecdote qu’on oubliera en chantant devant un fer à repasser. Ici la détresse humaine n’est que prétexte et les classes sociales sont définies à coup de hip hop et d’alcoolémie au volant. Le film n’est pas non plus sauvé par sa réalisation inadaptée ou par ses choix musicaux racoleurs (le “Pretty Woman” au Lidl, l’amourette avec Melodie illustré par, tenez-vous bien, le “Melody” de Serge Gainsbourg ; on en serait gêné pour lui). Outre quelques moments de cynisme du type « Message à caractère informatif » avec notamment le passage sur les containers responsables de la délocalisation, on reste affligé par le manque d’humour et de réflexion générée.

Contrairement à un Ken Loach, qui malgré sa dialectique parfois paresseuse, ne dément jamais la sincérité (et la nécessité) de son engagement et qui sous la résignation douce-amère laisse encore éclore la rage, Cédric Klapish apparait comme un donneur de leçon, un dealer de révolution de pacotille, plus fasciné par le monde des riches (presque jaloux) que par la détresse des démunis. Face au populisme nauséabond que dégage le final, on ose espérer qu’il ne fallait nullement y voir un message socio-humaniste.

Note : 1/10