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MILLIPEDE – Powerless

Par Ed Loxapac, le 04-03-2011
Musique

L’Américain Millipede, ou Don Hill pour les intimes, revient se présenter à nous avec une nouvelle galette sous le bras, dix huit mois après All My Best Intentions, déjà sorti chez les pointures du genre : Hymen Records. Aussi bien influencé par Lustmord que par Gridlock, il est l’un des rares artistes à combiner aussi bien le dark ambient et ce qu’il convient d’appeler l’IDM. Son concept d’expérience contemplative avait déjà pris toute sa substance alors qu’il officiait en tant que Porteur de l’Image jusqu’en en 2003. Même si le mille-pates a toujours apprécié et sollicité d’autres artistes pour réaliser ses projets, chaque morceau est cette fois-ci réalisé au moins à quatre mains. C’est donc avec un plaisir peu dissimulable que nous retrouvons sur Powerless des gens dont nous avons l’habitude et le bon goût d’encenser les travaux : Candle Nine, Tapage et Access To Arasaka. Outre la présence de ces trois jeunes prodiges, signalons celles de Caul, Brian Gover, Lucidstatic, Veil Of Secrecy, Autoclav 1.1 et Parca Pace, sur ce qui s’avère être bien plus qu’un énième et simple album de collaborations.

Powerless n’est pas une ode à la crise de virilité que traversent certains hommes et qui requiert l’absorption de petites pilules bleues. C’est un album qui fut conçu dans une grande période d’angoisse, quand les cris silencieux d’un enfant ne peuvent laisser aucun père digne de ce nom indifférent. Il n’est pas question de dévoiler bêtement des éléments de la vie privée de l’artiste mais plus de la volonté de souligner le caractère ô combien personnel de l’oeuvre. Le fils de Don Hill est atteint d’autisme et fait de fortes crises d’épilepsie. Ce qui le conduit à être régulièrement hospitalisé. Il est désarmant de constater comment Millipede a su transposer dans sa musique ses angoisses de père mais aussi ce qui peut bien se passer dans la tête de son fils, lui qui n’a pas les mêmes codes émotionnels et les mêmes capacités à la communication que le quidam lambda. Powerless est donc un cri, de douleur et d’inquiétude, mais aussi chargé d’un espoir qui ne laisse aucune place à la résignation. Powerless est une prière. Une de celles qui se situent au delà de la foi car elle donne la force au pénitent de se maintenir debout face à l’épreuve. Rarement on a constaté un tel investissement de la part d’artistes de ce standing pour sublimer l’oeuvre et donc s’associer à un projet si personnel. Tant et tellement qu’ils s’effacent, dépourvus d’ego, en apportant ainsi plus qu’une collaboration : un soutien amical et indéfectible à ce que Hill traverse et affronte.

Powerless commence avec l’atypique et inattendu Gathering Clouds, accompagné de Caul, titre électronica très synthétique où des lignes post Skinny Puppy dévoilent un ciel aux déclinaisons claires et obscures néanmoins pleines d’espoir. L’ambiance se tend, prend une tournure plus sombre et dramatique qui nous collera au cortex jusqu’à la clôture. Avec Synovial Damage (avec Brian Grover), No Place To Stand (avec un Lucidstatic qui martèle comme il sait si bien le faire) et Surrender (avec Parca Pace), Millipede réalise de véritables joyaux sombres, où des trames dark ambient souterraines sans fonds libèrent progressivement des rythmiques industrielles reptiliennes et vicieuses, ainsi qu’un beatwork incisif qui électrise et scinde l’encéphale. Le dernier titre cité étant en plus doté de synthhorns qu’on ne trouve que dans les tragédies familiales illustrées en musique par Nino Rota. Darkest Night se révèle logiquement comme la pierre angulaire de l’opus, avec cette lourde charge émotionnelle terrassante, bien aidée par les capacités de violentes ondulations et de parasitage du beat par Access To Arasaka et par l’intervention pleine de spleen, de douleur et d’impuissance du piano de Candle Nine. Si tout au long de l’album des effets et des riffs noisy de guitares hurlantes et plaintives apparaissent régulièrement, le piano est aussi mis à l’honneur, plus particulièrement sur le désarmant Powerless (où Autoclav 1.1 m’apporte pour une fois autre chose que de l’incompréhension et de l’indifférence). Le très sombre et sans beat While He Sleeps n’est pas non plus à jeter mais se révèle assez classique dans les schémas explorés. La plus grande surprise vient à l’écoute du final Above, All Grace où Tapage intervient de manière subtile, discrète et complètement inattendue, laissant à nouveau augurer de lendemains plein d’espoir et de paix.

Powerless est un album bouleversant et terriblement humain, qui vient rompre avec la réputation austère et inaccessible dont souffre le dark ambient. Nous nous associons donc forcément aux prières de Don Hill, qui se jette corps et âme au service de ce qui est tout sauf une cause perdue. Hymen frappe par ailleurs ici très fort, dès le début de l’année.

Note : 8/10

https://www.youtube.com/watch?v=GSz8DMcf5uk