NEVER LET ME GO de Mark Romanek
Sortie le 02 mars 2011 - durée : 1h43 min
Qu’il est difficile de juger Never let me go, deuxième film de Mark Romanek, sans être obnubilé par le roman (Auprès de moi toujours en VF) dont il est inspiré, un chef d’oeuvre d’épure sorti de la plume de Kazuo Ishiguro, romancier britannique d’origine japonaise. S’il ne trahit jamais vraiment le livre, s’il fait même preuve d’un respect un peu trop religieux à son égard, le film ne lui arrive pas à la cheville pour une bonne et simple raison : dans cet univers-ci et avec ces thèmes-là , mille mots feront toujours mieux que mille images. La très grande force du roman d’Ishiguro était de faire monter, à travers un récit d’anticipation discret et minimaliste, un épais sentiment mélancolique qui venait s’abattre ensuite au fil de chaque page sur des personnages conscients de se fourvoyer dans de silencieuses impasses et sur un lecteur condamné à les voir ainsi se préparer à l’extinction. Le tout dans une ambiance étrange due à des descriptions dérangeantes : concrètement, on ne savait jamais vraiment si le décor était réellement celui d’un pensionnat traditionnel ou s’il revêtait des allures bien plus modernes, voire futuristes. On perdait alors la notion du temps et de l’espace, et c’était beau et grisant.
Le film n’a pas cette possibilité. Un immense metteur en scène aurait peut-être trouvé la clé pour parvenir à restituer ce trouble, mais rien n’est moins sûr. Les images sont les images, elles remplissent l’oeil vingt-quatre fois par seconde et favorisent moins le développement de l’imaginaire et les questionnements intérieurs. Si bien que Never let me go, en dépit de thématiques d’autant plus passionnantes qu’elles sont actuelles, ne parvient à jamais à s’extirper de son carcan illustratif. Un grand roman a accouché d’un joli petit film, tristoune et délicat mais jamais révolutionnaire.
Jadis clippeur de renom, passé par le projet Wolfman avant d’en claquer la porte, Mark Romanek aurait pu être l’homme de la situation s’il ne s’était abandonné un peu trop facilement à une imagerie surannée qui colle comme une évidence aux personnages et aux situations. Même chose pour le casting, extrêmement futé puisque ce sont trois des acteurs les plus pâlots du cinéma anglophone qui ont été choisis pour incarner ce trio de jeunes britanniques frêles, faibles et esseulés. Engager des gens sans charisme pour incarner des êtres sans futur, voilà ce qui s’appelle une prise de risque zéro. D’autant que les interprètes en question, loin de se contenter d’évoluer devant la caméra, tentent de se prendre pour des acteurs et se rappellent un peu trop souvent que malgré leurs jeunes âges ils ont tous les trois été nommés aux Oscars pour d’autre rôles. Au petit jeu de la course à la larmichette, Carey Mulligan est la grande gagnante : la révélation d’Une éducation livre une prestation décevante car plus transparente que diaphane.
Heureusement qu’au final, le facteur humain est loin de constituer l’essentiel de cet étrange film dépourvu d’âme. Ce qui semble particulièrement fasciner Romanek dans cet univers, c’est avant tout les rapports des personnages vis-à -vis des décors et des accessoires. Comme si l’apparat permettait de se persuader qu’on existe encore, que la vie vaut le coup qu’on s’y accroche. Dans leur bulle, les protagonistes parlent d’amour, d’avenir, de mort, mais ne semblent jamais aussi excités qu’à l’approche des brocantes régulièrement organisées dans leur pensionnat et leur permettant de se procurer des objets insolites et/ou essentiels. Ce matérialisme prédominant constitue l’une des attractions de ce film froid, tiré à quatre épingles, manquant sans doute d’un vrai regard de cinéaste mais ayant au moins le bon goût de traiter son sujet sans détour. Un sujet dont il vaut mieux ne rien savoir pour mieux partager le questionnement des héros, même s’il a été allègrement dévoilé depuis l’annonce de la sortie du film.
Note : 6/10