Ha le Vocoder ! Nul appareil n’est plus représentatif de l’évolution de la musique que cet engin, devenu instrument, presque malgré lui. Affectueusement surnommé, Mr Roboto, le Vocoder naquit un jour dans les années 30. Son inventeur, Homer Dudley (ça ne s’invente pas), ingénieur de son état, créa ce système pour favoriser les conversations téléphoniques. Avant de devenir le sésame de quelques musiciens chevelus, il vécut maintes péripéties, toutes avec deux doigts sur la couture et la mèche absente. On dit même que Franklin s’en servit pour papoter avec son pote Winston, durant la Seconde Guerre Mondiale, en toute sécurité et confidentialité. Mais le petit Roboto était un peu encombrant, il faillit mourir de sa belle mort de Vocoder si un jour Vannevar Bush, grand gourou scientifique de l’époque, n’avait écrit dans son désormais célèbre article As We May Think – un prélude à ce que sera Internet quelques décennies plus tard – tout le bien qu’il pensait du Vocoder, le pépère aurait certainement fini au rayon des objets mort-nés. Imaginez un peu R2D2 finir en petit cube bien tassé et vous aurez une image assez fidèle de ce que peut ressentir un musicien face à cet improbable destin. Mais dans la petite famille des ingénieurs fous, on a toujours un cousin Germain. Et notre cousin Germain, dans sa mansuétude toute teutonne, s’intéressa à cet étrange appareil pour le transformer… en instrument de musique. Roboto était sauvé, Roboto allait survivre. Ouf de soulagement !
Enfin presque.
Le Vocoder n’aurait pas eu la carrière qu’il a sans le tripatouillage électronique de génie de deux nerds, à savoir le grand Bob Moog et le non moins talentueux Wendy Carlos. Sous leur impulsion, le nouvel instrument devint un élément essentiel de la musique électronique et dans les années 70, il se tailla la part du lion lorsque Wendy Carlos s’en servit pour composer la bande originale d’Orange Mécanique. Un Korova Milk Bar plus loin, le Vocoder se retrouva à l’origine de plusieurs effets sonores dans les génériques de séries SF un peu kitschissouilles de l’époque. De fil en aiguille, le cinéma s’intéressa à ce petit boîtier : le vocoder 5000 fut ainsi utilisé pour donner voix aux fameux Cylons de Battlestar Galactica, première version. Son usage se popularisa de plus en plus, grâce au BBC Radiophonic Workshop notamment, qui transforma la voix des Daleks de la série Doctor Who avec l’aide du Vocoder en un son si distinctif qu’il en devint, avec la musique du générique, une marque de fabrique.
Cependant, le Vocoder ne connut son heure de gloire que grâce à nos toujours vénérables cousins Germains. Kraftwerk, pour ne pas les nommer, reprit le flambeau et imposa à la pop son utilisation. Doit-on encore écouter The Robots, Numbers ou encore Trans Europe Express pour se convaincre de l’importance de cette mini-révolution sonore ? Ce traitement futuristique eut un écho considérable et une lame de fond traversa et secoua les fondamentaux de la pop music. Même le rock progressif s’en trouva ébranler au plus profond. Mais l’influence grandissante du Vocoder eut des répercussions là où on l’attendit le moins. La musique noire s’en empara pour provoquer sa propre révolution musicale. Afrika Bambaataa et Arthur Baker s’inspirèrent des expériences sonores de Kraftwerk pour écrire un disque essentiel, Planet Rock.
Planet Rock imposa un style à toute une génération de rappeurs, mais avant tout l’album était symptomatique d’une époque tournée résolument vers l’avenir : le futur existait, il était à portée de main. Il suffisait alors de regarder autour de nous : la NASA lançait son programme Challenger, nous autres gamins commencions à nous bâcher à coup de Pac-Man, bouffant une montagne de musique électronique, dansant comme C-3PO et poussant la chansonnette sur le Rockit d’Herbie Hancock. Notre petit monde ne tournait plus alors qu’autour de Cybotron (le premier groupe de Juan Atkins) et Mantronix.
Mais l’univers de la musique est une jungle impitoyable : roi un jour, casserole le lendemain. Mr Roboto avait bien grandi. Mr Roboto avait révolutionné le monde de la musique. Mr Roboto ne vit pas venir la suite.
Talk
Talk
Talk
BOX
Je suis tout petit, je ne suis pas bien lourd et je fais la même chose que toi. Je m’appelle Talkbox. Et j’ai un énorme avantage, je m’adapte à n’importe quel instrument. Toi, le Vocoder, tu as nargué toute une génération de nobles instruments dont la guitare ; moi, Talkbox, je fais joujou avec et on devient pote. Et mon très long engin (mon tube en plastique) me sert à reproduire le même type de son que toi. J’ai grandi sous l’aile bienveillante d’un musicien et pas n’importe lequel, Roger Troutman. S’inspirant de Stevie Wonder, qui m’avait utilisé sur un des ses albums, Il me transforma en instrument au sexual appeal très discret. Le but était, paraît-il, de plaire aux dames. On me surnomma Computer Love. On m’utilisa ainsi pour répandre toute la bonne parole du hip-hop de la West Coast et du G-Funk. Je vécus la belle vie dans les années 80… Instrument fétiche de la scène hip-hop, je poussai le vice jusqu’en dans les années 90 avec Timbaland, Dr Dre et 2pac. Ma petite vie de Talkbox me convenait parfaitement, jusque ce que le R&B me prenne sous son aile et là ce fut le début de la fin. Mon frère Mr Roboto, reconverti en bandit manchot, en rit encore.
Le pire est d’entendre Snoop Dogg se foutre de ma gueule sur Sensual Seduction.
Ainsi va la vie.
Si l’instrument en tant que tel a disparu quelque peu des radars, il n’en reste pas moins que l’effet robotique plaît toujours aux musiciens. Les effets du Vocoder et du Talkbox sont aujourd’hui pleinement intégrés dans de nombreux logiciels. Prenez aujourd’hui n’importe quelle production des musiciens Akon et T-Pain, ils ont libéralisé complètement ces sons. Grâce à ces logiciels, des musiciens peuvent bidouiller ainsi leurs propres effets et habiller une voix en fonction. Le Vocoder s’est démocratisé ; un bien pour un mal vous diront les anciens, car l’effet de surprise est aujourd’hui galvaudé. Lorsqu’on écoute certains morceaux de Kraftwerk, on imagine mal le contexte politique de certaines de leurs compositions. Alors la “voix robot” est-elle condamnée à servir de décorum pour des musiciens en mal d’imagination ? Pas vraiment. Il suffira toujours d’un peu de créativité et la Planet Rockera toujours.