WINTER’S BONE de Debra Granik
Sortie le 2 mars 2011 - durée : 01h40 min
[Attention Spoilers] Les Monts Ozark sont une région où il n’y a pas d’adolescents et où les conditions de vies obligent les enfants à devenir des adultes dès seize ans. Les traits angéliques de Jennifer Lawrence ne contrebalancent ni sa détresse intériorisée ni sa rugueuse opiniâtreté ; les panoramas envoutants des paysages ruraux ne masquent pas leur hostilité et ne filtrent pas les cris qui s’y cachent.
C’est dans ces terres à la lisière des frontières du nord, dans ces terres où le froid est l’allié de la faim dans l’anéantissement de la race humaine, que les hommes et les femmes se retrouvent dans un état intermédiaire entre la civilisation et la simple survie, un état qui génère des zones de non-droits et où la compassion n’existe même pas en façade. A bien des égards, les collines du Nord des Etats-Unis sont devenues le nouveau grand Ouest, et des films comme « Winter’s Bone » de Debra Granik les dignes héritiers du western crépusculaire. Comme dans ces derniers la loi morale a été remplacée par une loi du milieu où la bonté et la méchanceté ne sont plus que des paramètres variables à l’instant T. La justice ne s’inquiète d’ailleurs jamais du sort des hommes et ne réagit pas à l’annonce de la mort du père de Ree Dolly : ici il ne s’agit pas de trouver les meurtriers mais bien de s’assurer que les règles administratives aient été appliquées et que les sommes d’argent se trouvent bien où elles doivent être.
Si le thème de la jeune fille qui ne peut compter que sur son courage et sa pugnacité pour influer sur un univers masculin et violent a déjà été récemment exploité dans le « True Grit » des frères Coen, c’est surtout au « Frozen River » de Courtney Hunt que l’on pense. Là aussi, on sent la pauvreté, le communautarisme et la nécessité de repli, là aussi on voit une femme combattre la fatalité mais sans esclandre, sans cri, sans pleur, sans jamais expliciter l’amour qui alimente le corps sur ce champ de bataille.
Au milieu des masures brinquebalantes, des animaux maigrichons et de folie brutale des hommes, « Winter’s Bone » ne voit l’avenir qu’au travers de la femme, seule figure capable d’enrayer le cycle, de briser les codes et de temporiser la haine. Lorsqu’à la fin du film Teardrop (brillamment interprété par John Hawkes) s’en va avec l’intention de donner forme à la vengeance Debra Granik pose sa caméra et laisse l’homme saccager ce que viennent de construire les femmes. Lassée par la bêtises des hommes, elle ne veut plus regarder.
Avec son casting de gueules cassées, sa photographie à la fois lugubre et personnelle et sa rigueur qui évite précautionneusement tous pathos, « Winter’s Bone » avait de quoi glacer le sang mais n’arrive malheureusement pas à gommer les traits de crayon qui se cachent derrière le film. Si l’on ne peut pas parler de clichés du film indépendants (on reste très loin du « Monster » de Patty Jenkins), certains plans se dessinent en forme de parfaite carte postale de la pauvreté (les trampolines usagés à la symbolique forte, les gros plans sur la ferraille et sur les pneus, les images volontairement grisées…). Mais c’est surtout au niveau de la construction même du scénario que les ficelles sont trop visibles : on va du point A au point B qui nous emmène au point C qui nous ramène au point A pour que finalement E vienne à nous sans que nous ayons à aucun moment foulé le sol de D.
Et puis bien que les intentions de s’immerger dans le milieu et de transformer les locaux en acteurs afin de ne pas dénaturer le propos soient nobles, elles fixent des limites trop précises à jusqu’où Debra Granik pourrait se permettre d’aller : du coup là où la violence et la noirceur auraient du exploser aux visages des enfants, la réalisatrice par respect pour son équipe ne peut franchir le pas ! Une éthique qui ne sert pas le film d’un point de vue artistique.
Heureusement, emporté par la musique, par cette country folk poisseuse qui donne la respiration à la vie, le regard se détourne souvent du canevas, du côté scolaire, pour se focaliser sur la beauté formelle de l’ensemble.
Le western est devenu un northern et les générations se sont succédées : en lieu et place du vieil homme qui jouait du banjo sur le perron de sa maison en décomposition se trouve maintenant une gamine de 6 ans qui peine à tenir l’instrument trop grand pour elle mais qui regarde l’avenir avec une conviction qui ajoute à la tristesse l’espoir.
Note : 7,5/10
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