« Irish Recording Tape » est un disque qui ne cesse de revendiquer ses origines manufacturées. De l’enregistrement à la pochette, tout est fait pour rappeler que le quintet suédois est une marque « maison ». Des traces de café à l’étiquette de prix en provenance d’une épicerie, on sent bien qu’il s’agit de ramener la musique industrielle au cœur des banlieues résidentielles.
On retrouve chez Agent Side Grinder ce songwriting particulier, étrange et biscornu qui habitait les chansons de Cabaret Voltaire comme « Red Mask » et « Yashar » mais au lieu de pousser à l’expérimentation, les suédois poussent à l’intimité (« Eyes Of The Old »). On réalise alors que la production est un peu trop maniérée, un peu trop forcée dans son approche artisanale. Pourtant alors que le chant de « Die To Live », volontairement mixé en avant, se détache, des sirènes viennent combler l’espace sonore entre les cris et les guitares, et Agent Side Grinder trouve soudainement un équilibre sur lequel tous les sons peuvent se greffer.
Sur « Blue Streaks » on imagine Massive Attack réinterpréter ses titres dans une usine à l’écho carnassier, et c’est peut-être là la force de Agent Side Grinder : plutôt que de singer leurs maitres, ils déploient l’aura de ces derniers et, sans jamais se laisser compromettre, se nourrissent de l’électronique, de l’EBM, du post punk et du krautrock. Pas étonnant que le spectre se soit agrandi et que l’aspect EBM laisse de plus en plus place à celui de la new wave industrielle cher au Killing Joke de 1985. Oui il fallait pour ce « Irish Recording Tape » un canevas plus grand.
Agent Side Grinder pique également chez le Killing Joke de 2010 un certain gout pour la répétition. Non pas une répétition hypnotique mais une répétition du suicide : dès le début des chansons, les boucles prennent place et sont vite entérinées ; et il sera alors impossible de les faire évoluer. Aussi défendable soit-il, ce procédé donne l’impression que chaque expérimentation n’est qu’une petite folie sur un carcan inviolable. Si le canevas est plus haut et plus large, il manque encore de hauteur. Un parti-pris à prendre ou à laisser.
Plus qu’un « Irish Recording Tape », il s’agit ainsi souvent d’un Swedish Home Recording Tape où l’on souligne ses défauts pour bien montrer qu’il s’agit d’un choix et non d’une contrainte (pourtant la contrainte n’est-elle pas justement le meilleur des choix ?). Mais s’il est frustrant de trouver ici plus de concept que de rage, on savourera cette noirceur formelle qui ne vacillera pas d’un iota.