Autechre fait parti de ces vaches sacrées, de ces entités indissociables et profondément ancrées dans les cœurs. Il ne peut y avoir que du brillant dans les yeux quand on évoque sa rencontre avec Autechre. Quand on se souvient la première vis sonore qui pénétra le cerveau, quand on se souvient comment les yeux ont vrillé de plaisir sous les coups numériques, comment les muscles se sont tétanisés de bonheur, peu à peu, quand le tout commence à prendre forme dans l’esprit. Autechre, c’est de l’amour électronique, c’est de l’amour abstrait et virtuel.
La musique d’Autechre est avant tout physique. Les éléments rythmiques et autres glitchs forment la trame de ces assemblages complexes mais entêtants. Suivent alors la nuque et les épaules, les bras et le jambes dans le mouvement. Avant même les débuts de Warp, à l’heure où LFO balançait des basses profondes, Autechre sortait des EPs qui ferait rire de plaisir n’importe quel adepte extravagant du groupe. On oserait presque un “est-ce vraiment Autechre” face à l’immédiateté de ces titres, rentre dedans et plein d’une âme techno. On se sentirait presque sur une fête foraine avec un goût d’acides sur le palais.
Et, au fil du temps, la musique s’apaise, se délite peu à peu et les textures plongent. Autechre ne se contente plus de faire danser les jambes, mais s’attaque aux organes vitaux. Votre estomac bat le rythme avec les infrabasses, pendant que votre cerveau se perd dans les sons et les rythmes désaxés.
On pourrait penser que Warp, en ressortant ces EPs, se moque un peu de l’aficionado. Mais ce serait oublier qu’Autechre est un groupe à EP. Le format court leur sied parfaitement. Mieux peut-être. Ces enregistrements ne sont en aucun cas des chutes d’albums, des essais ou des titres de seconde zone. Ce sont des œuvres à part entière, comme le Move of Ten de l’année dernière. Énormément d’EPs, donc, plusieurs par an parfois. L’année 95 comme un sommet, entre un Anti EP qui rappelle les grandes heures de Speedy J et une Peel Session comme un le pivot entre un Autechre “facile” et un Autechre complètement abstrait et déconstruit.
La suite semble certes plus complexes aux oreilles, d’autant que le groupe va poursuivre ce chemin, s’éloigner du physique pour frapper le mental, délurer les cervelets et surtout, syncoper les perceptions.
Entrer dans Autechre, c’est entrer dans un monde sans limite, où chaque piste est une mine d’or électronique. On creuse, on creuse, et l’or jaillit, c’est un filon inépuisable. En onze EPs, le groupe évolue, pousse les logiques jusqu’à l’absurde, jusqu’à l’art pur. L’électronique pour l’électronique, une exigence et une intégrité jusqu’au-boutiste pour retourner les esprits, sans arrêts, mais de manière différente. Autechre entretient son histoire d’amour avec les masochistes sensoriels, ceux qui ont du plaisir à sentir la musique dans leur colonne vertébrale. Elle remonte elle remonte, et frappe, là, derrière la nuque. Un coup sec et efficace, pour une quasi perte de connaissance dans un paradis synthétique.
Warp nous fait un magnifique cadeau en rééditant onze des EPs d’Autechre, dans un coffret très classieux à l’instar du Warp20. Presque six heures d’une démonstration de force qui n’est pas prête de se terminer.